Pour ce cinquième album du quartet
Mostly Other People Do the Killing (MOPDtK), les New-Yorkais ont choisi de reprendre des compositions issues du jazz mainstream des années 70 et 80. Tout d’abord, une rapide présentation du quartet s’impose : fondé il y a près de dix ans par le bassiste et compositeur
Moppa Elliott, on y retrouve depuis quelques années l’excellent trompettiste
Peter Evans, ainsi que
Jon Irabagon (saxophones) et
Kevin Shea (batterie). Autant de styles et d’horizons que de musiciens donc. Car si Irabagon est plutôt proche du jazz à proprement parler,
Peter Evans a multiplié les collaborations avec de nombreux artistes plutôt d’avant-garde tels
Evan Parker,
Mats Gustafsson,
Okkyung Lee,
Nate Wooley ou encore
Mary Halvorson. Quant à la section rythmique, même si elle reste proche du free jazz et des musiques expérimentales, elle est aussi très orientée par les musiques actuelles (voir le duo
Talibam! avec
Kevin Shea par exemple) ou même commerciales comme en témoigne ce dernier opus.
Car oui, les influences de
MOPDtK ne sont pas cachées ici. Du smooth jazz dans sa forme la plus pure. On n’a pas forcément trop la culture smooth en France, mais on a quand même dû se coltiner
Kenny G par exemple, vous voyez le genre, le genre à être diffuser non-stop sur les ondes américaines comme dans les supermarchés ou les fins de réception bourgeoise. Bref. Qu’est-ce qui a bien pu attirer des musiciens provenant du free jazz vers ce genre de musique. D’un côté, il y a peut-être ce swing étrange, car binaire, un swing plus énergique qui convient très bien aux côtés rock de
Kevin Shea et aux phrasés de
Peter Evans. Tout ceci étant en plus contrebalancé par le swing énergique, ternaire cette fois, virtuose et hallucinant du spécialiste
Jon Irabagon. Beaucoup d’éléments se mélangent en fait durant ces neuf pièces. On reconnaît les lignes mélodiques et les lignes de basse propres au smooth jazz d’accord, mais en même temps, rien n’empêche
Peter Evans d’intervenir de manière bruitiste avec son ensemble de trompettes (une trompette classique, une piccolo et une trompette à coulisse), rien n’empêche non plus la rythmique de s’éclater sans prévenir, ou que plusieurs rythmiques se mélangent de manière décalée. Comme à son habitude, le quartet
MOPDtK brouille les pistes et se situe dans un espace intermédiaire entre expérimentation et hommage, entre avant-garde et reprise de standards.
Slippery Rock ! n’y échappe pas, certains codes du smooth jazz sont repris, certes, mais pour être mieux déconstruits la plupart du temps, ou collés à d’autres formes de musique.
Il y a du swing, il y a du bruit, il y a du blast, il y a des mélodies, il y a du groove. On ne sait plus si c’est punk, jazz, ou free. Car avant tout, c’est un quartet unique avec une méthode d’improvisation et de composition absolument inouïe, des compositions qui rendent un hommage grandiose à des musiques oubliées.
MOPDtK s’approprie toute une culture commerciale pour en faire une musique singulière et accessible, puissante, dansante et énergique, mais surtout, libre et personnelle. Une musique servie par des musiciens incroyables, composée avec une rigueur et un sens de l’équilibre très juste.
Chroniqué par
Julien Héraud
le 02/04/2013