Pour beaucoup,
Aaron Dilloway est avant tout un des membres phares du groupe expérimental/noise
Wolf Eyes. Mais – à aucun prix – il ne faudrait passer à côté de ses autres collaborations et de ses projets en solo. Il y a seulement quelques mois, c’est son duo avec
Jason Lescalleet (autre grand manipulateur de cassettes) qui m’avait halluciné. Mais aujourd’hui, je suis carrément bouleversé par son solo intitulé
Modern Jester.
Un vinyle avec une pochette terrifiante et glauque, pour une musique aussi sombre que... glauque et terrifiante. On parle beaucoup de l’aspect cauchemardesque du dernier chef d’œuvre de
Scott Walker, mais là, c’est carrément une plongée interminable aux confins d’un univers difforme et malsain. Sur
Modern Jester,
Aaron Dilloway manipule des cassettes et des bandes magnétiques : accélération, ralenti, mise en boucle, saturation, solarisation, détérioration, toutes sortes de samples magnétiques certainement innocents prennent une allure infernale et malsaine après le passage de
Dilloway. Ce dernier prévient que chaque titre renferme des messages subliminaux. Et il vaut certainement mieux que ça reste subliminal, car c’est déjà assez flippant comme ça. Des voix mises en boucles et progressivement ralenties, des irruptions cartoonesques et noise de bandes accélérées, un collage fantastique pour un voyage cauchemardesque au pays des hommes à trois pieds qui prophétisent une apocalypse incertaine. L’ambiance est sombre et inquiétante, mais en même temps, on se complait dans cet univers inhumain. Pourquoi ? Peut-être seulement parce que
Dilloway est aussi un grand musicien, et qu’il sait donc structurer et coller ses bandes avec intelligence et sensibilité, en prêtant une grande attention aux notions de reliefs, d’équilibre, de tensions, en plus d’inventer un univers sonore complètement singulier et donc vraiment inventif et créatif.
Bienvenue dans le monde d’
Aaron Dilloway, un carnaval de bandes difformes pour oreilles désorientées et en attente de nouveautés plutôt noires.
Modern Jester nous entraîne dans un univers rempli de miroirs déformants convexes et concaves, à moins que ce ne soit nos oreilles qui sortent bouleversées et déformées par ce voyage sonore et psychoacoustique unique. Une plongée grandiloquente et fantasmagorique, sombre et psychotique, guidée par des voix inquiétantes et menaçantes, dans un rêve d’une consistance exceptionnelle. Une grosse tuerie en somme.
Chroniqué par
Julien Héraud
le 07/02/2013