Pendant que ses anciens camarades de
Deerhoof replongeaient la tête la première dans la décompensation psychique,
Chris Cohen purgeait une rupture sentimentale dans l’État du Vermont.
L’État du Vermont : ses vallons boisés aux couleurs automnales, ses vieilles granges, et un clair de lune chanté par Ella Fitzgerald : "Evening summer breeze, Warbling of a meadowlark, Moonlight in Vermont". Dans l’État du Vermont, il n'y a que deux choses à faire : se suicider ou écrire un album.
Chris Cohen a sagement opté pour la seconde option. Le résultat ?
Overgrown Path, soit neuf pop songs d'une beauté insulaire, à la dérive sur un océan de regrets.
Overgrown Path a été conçu dans un isolement quasi-monacal et un dénuement pastoral. Il est aussi loin de la clameur de Los Angeles que des minauderies sixties distordues des groupes les plus récents de
Chris Cohen (
The Curtains,
Cryptacise). Seul aux manettes, l'Américain a cisaillé une pop élégiaque pleine d'une torpeur solaire qui évoque cet état d'hypersensibilité qui suit parfois une longue période de convalescence. Certains titres auréolés de l'esprit "cool" des origines sonnent comme de doux anachronismes. Tous en tout cas trimballent un spleen sans fin, un chagrin inconsolable et en même temps, déjà, les prémices d'une renaissance, d'un espoir retrouvé.
Sa lente traversée en solitaire dans les méandres de l'après-rupture, est aussi l'occasion d'un voyage quasi-initiatique à travers les années 60. On retrouve dans le son d'
Overgrown Path autant le charme amer et libertaire de l'americana que la candeur psychédélique des
Bealtes ou du
Velvet Underground. A cet endroit,
Chris Cohen a bel et bien quelque chose de plus que la masse informe des fétichistes hippies et autres pilleurs de tombes de l'âge numérique : le regard rivé sur le rétroviseur de l'histoire de la pop, il n'en abandonne pas l'idée de capter dans l'air du temps quelque chose d'une mélancolie authentiquement contemporaine.
L'album d'une trentaine de minutes, passe tranquillement comme un vieux vapeur. La production, sublime, toute en nuance, retrouve la chaleur et le dépouillement des enregistrements de l'époque. L'écriture, pleine d'aspérité et d'oubli, est d'une profonde délicatesse. Au milieu des bouteilles à la mer (
Inside a seashell,
Open Theme), des comptines un peu noirâtres (la floydienne
Solitude) et des bulles de Chewing-gum pleines de nostalgie (
RollerCoaster Rider,
Heartbeat),
Cohen se laisse même prendre au jeu d'un perfectionnisme pop assumé et éblouissant (
Caller N°99,
Optimist High,
Don't Look today). L'album tient vraiment toutes ses promesses à commencer par la première d'entre elles, l'honnêteté, ce terme un peu bâtard qui il n'y a pas si longtemps encore était intrinsèque à la pop elle-même.