Duprass est le duo formé par les sound-designers israéliens
Ido Govrin et
Liora Belford. Leur nouvel album, intitulé
Galut (Diaspora) vient de sortir sur leur propre label,
Interval Recordings. Il amène l’auditeur à fouler des territoires musicaux rarement explorés, en l’occurrence ceux du drame radiophonique. Avis aux curieux.
Galut (Diaspora) est une œuvre polymorphe de 23 minutes qui tente de confondre dans un même mouvement paroles, sons et musique. On pourrait croire l’exercice marginal, surtout quand on parle de musique électro-acoustique. Pourtant on s’aperçoit que l’année 2011 est déjà très riche de ces albums qui font jaillir la parole comme on abat une digue. Sur
Interval Recordings, on trouvera
Nature Data, une performance sonore conçue par l’Irlandaise
Jennifer Walshe. Ailleurs : la collaboration entre le poète britannique
Alex Rodgers et son compatriote
John Wall sur
Works 2006-2011 ou encore le groupe
Piiptsjilling qui repose sur l’association du poète néerlandais
Jan Kleefstra et de trois musiciens parmi lesquels
Rutger Zuydervelt (
Machinefabriek).
De son côté le duo
Govrin/
Belford s’appuie sur des poèmes et des textes de l’écrivain israélien
Moshe Gurin (1921-1990) pour donner corps à leur musique. De
Gurin on ne sait rien, sinon que ses textes, d’inspiration autobiographique, ont souvent trait à l’exil (
Galut est d’ailleurs un terme péjoratif qui désigne la diaspora juive en dehors d'Israël).
En plus du mystère qui les entoure, ces écrits qui sont déclamés en hébreu par
Ido Govrin,
Zohar Eitan et
Daniel Birnbaum pourraient créer une distance presque infranchissable entre
Galut et ses auditeurs francophones si les deux artistes ne s’aventuraient pas plus loin que la matière, en découvrant un langage amorphe qui transcende les mots et leurs sens sans pour autant torpiller leur importance dans l’œuvre.
Le plus dur est donc d’accepter de ne pas comprendre le sens de ces mots, de s’abandonner à leur flot étrange et à la sonorité si particulière de l’hébreu. Ces mots, il n’est pourtant pas nécessaire de les comprendre concrètement pour en saisir la charge émotionnelle, pour goûter aux douleurs, à la peur ou aux incertitudes qui leur ont donné corps car chaque minute de
Galut est contaminée par leurs échos caverneux et les souvenirs troubles qui leur sont rattachés.
Galut est de manière plus subtile une affaire d’impression.
On y entre en tâtonnant car le terrain est accidenté et inhospitalier. Chaque son semble échapper à notre compréhension, se répercutant dans un lointain imprécis. Les voix mornes des trois récitants se frottent ainsi à des présences inquiétantes : croassements de corbeaux, grognements de chiens désarticulés, discours en allemand émis depuis des postes de radio invisibles, ou encore : percussions battant des surfaces métalliques pour appeler à une guerre ou un soulèvement dont on ne connaîtra jamais la finalité, tintement de la pluie contre le sol défoncé d’un souterrain.
Le bruit des pas d’un marcheur dessinent quant à eux les motifs d’un parcours introspectifs et cabossés qui nous rappellent le travail de
Solo Andata sur l’ambiance de leur album éponyme. C’est aussi la marche d’un voyageur à travers les arcanes d’une histoire, individuelle ou collective, érigés par les paroles des récitants comme un sous texte douloureux et toujours présents.
Musicalement, l’approche des Israéliens est assez similaire de celle des Australiens de
Solo Andata. La bande musicale de
Galut (appelons la comme ça) est esquissée avec énormément de retenue par la pianiste
Shira Legmann et le violoncelle de
Dan Weinstein afin qu’elle fasse corps entièrement avec les voix et les field recordings. Les gestes amples et grandiloquents sont donc proscrits au profit d’interventions précautionneuses : d’abord le silence, puis une note sentencieuse pour le rompre, puis un lent crescendo, presque étouffé, en passant par des scories, des détours abrupts et des traitements sonores inattendus encore ponctués par ces silences si lourds de menaces.
Sur disque,
Galut mute en film sonore, rappelant à nous l'atmosphère des œuvres de
Tarkovski ou de
Béla Tarr…De notre côté, on se surprend à associer des visions et même un sens personnel aux voix des trois intervenants. C’était sans doute le but inavoué d’
Ido Govrin et de
Liora Belford en nous faisant parvenir leur étrange objet sonore en ne mettant à disposition aucune traduction des textes de
Moshe Gurin.