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Grails

: Deep Politics



sortie : 2011
label : Temporary Residence
style : Rock Psychédélique

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Tracklist :
01/ Future Primitive
02/ All The Colors Of The Dark
03/ Corridors Of Power
04/ Deep Politics
05/ Daughters Of Bilitis
06/ Almost Grew My Hair
07/ I Led Three Lives
08/ Deep Snow

Pour les siècles et les siècles, Grails sera la réplique du XXIème siècle à ce que les années 1970 n'ont pas su accomplir. La mise au jour de leur manque paradoxal de radicalité. L'incapacité à se penser elles-mêmes comme une origine, et non pas seulement comme un aboutissement. Quand on ne regarde que soi, d'ailleurs, on ne voit jamais que ça : ce que l'on est en train de faire. En regardant ici, et devant et derrière, en même temps, et en même temps donc que droit dans les yeux des années 1970, Grails les retrouve, les comprend et les dépasse. C'est comme ça depuis Interpretations of Three Psychedelic Rock Songs From Around The World.

Ce regard qui tend à l'ubiquité, à la musicalité totale, tenant en un seul geste le passé, le présent, et l'avenir, autant que l'Asie, l'Amérique, l'Europe. Le kitsch, le psychédélisme, l'avant-garde. Des triades de termes que la musique de Grails fait entrer en équation, mais dans lesquelles le groupe glisse des inconnues, des faux-raccords, des dérapages. Équations pas tout à fait concordantes, fondées en somme sur un non-égal fuyant, impensable. Manière de reprendre l'histoire, de faire bouger ses lignes de construction, de l'interpréter à contre-courant pour la rejouer selon une puissance motrice nouvelle. Manière d'avant-garde, donc, mais paradoxale. Pas celle qui annonce la table rase et qui oublie un peu naïvement qu'une telle opération est bien moins simple que le geste de tout balayer (pour faire table rase, avant de tout balayer, il faut d'abord tout repenser, ce que fait Grails d'une façon ou d'une autre). Pas celle imbue d'elle-même et finalement tellement vaine qui s'imagine toujours qu'elle met un terme à l'histoire. Non. L'avant-garde après la fin de l'histoire. L'avant-garde qui repense le principe d'avant-garde, pour aller au-delà, si l'on veut, c'est-à-dire : pour en formuler une version plus radicale, plus diabolique. L'avant-histoire. Pas la pré-histoire. L'après-histoire. L'après-histoire qui invente une nouvelle histoire là même où tout le monde pensait qu'elle s'était achevée. La musique qui ouvre à nouveau l'histoire après qu'elle est finie. Qui recommence. Qui dit : « Allez donc vous faire foutre avec la fin de l'histoire ! ». La musique qui ouvre à nouveau l'histoire après qu'elle est finie, dans un enragement, une giration violente où se répètent sur un mode critique, psycherméneutique, certains événements fondateurs. Une réplique et plus qu'une réplique. Comme après l'Apocalypse. Comme après le passage de quatre cavaliers. Comme après que nos cheveux sont coupés court. Une réplique et plus qu'une réplique, oui. Une reprise et plus qu'une reprise. Un dépassement. Grails n'aura jamais fait que ça : se dépasser et dépasser toute la musique dont il provient. Dans le ressassé de ses origines, dans l'explosion sans cesse renouvelée de ses origines, c'est-à-dire : dans l'interrogation permanente, en surrégime, de celles-ci, portées à leur point d'incandescence. Qu'elles brûlent pour voir ce qu'il en sort, ce qu'il en reste. Des cendres, de l'effroi, une terreur mystique, sublime, grandiloquente : encore de la musique.

La preuve, c'est peut-être à nouveau ici, dans cette politique des profondeurs, comme il y a une analyse des profondeurs à l'encontre d'une analyse superficielle, dans Deep Politics, Almost Grew My Hair qui la donne. Dans le son et dans le sens. Dans le sens : la réponse à Crosby, Still, Nash & Young, et leur Almost Cut My Hair, qui ne regardait pas leurs cheveux, mais seulement leur nombril, le nombril des hippies jusqu'auquel pendaient leurs cheveux. Belle chanson, mais qui ne valait pas sa suivante sur l'album Déjà Vu (Helpless), et par laquelle Neil Young se montrait plus visionnaire, ne chantant que lui, pas le groupe, l'individu, pas le rapport à la société — forcément nombriliste —, mais la relation à soi et au paysage — forcément universelle : "There is a town in North Ontario", etc. Dans le son : ce choix toujours aussi radical de l'instrumentalité. Pas un mot. Pas sans le sens, cependant (on vient de le voir), mais sans le son de la voix qui dit quelque chose. Samples de voix incantatoires seulement, pour laisser la musique parler d'elle-même, d'elle-même en tant que tradition et subversion de cette tradition, subversion de toutes ses sources, affirmation consciente de ce qu'elle doit de soi aux autres. Et énormes, bien que sempiternellement subtils, monstrueux et sublimes, disons-nous, déroulés des toms de la batterie qui répondent aux accents mélodieux de la guitare acoustique à douze cordes, aux accords jusqu'à l'oubli, aux litanies jusqu'à l'oubli de la guitare électrique. Une reprise et plus qu'une reprise, donc. C'est-à-dire : pas une reprise superficielle ; grilles d'accords, mélodies, rejouées sur le mode de la production et du goût contemporains. Au contraire, une appropriation stricte de l'esprit où la lettre est conjurée presque en totalité. Résultat : Almost Cut My Hair et plus qu'Almost Cut My Hair : Almost Grew My Hair. Excès plus que sobriété. Provocation d'une reprise indéchiffrable, avec un calembour pour titre, où l'originale est à chercher partout, présente partout comme un spectre volatil, et pourtant introuvable. Une reprise qui semble contenir l'originale, mais qui n'en contient en réalité qu'un reflet gauchi, une réplique subtilement défigurée, comme si l'optique spéciale qu'est cette relecture contenait un vice de forme secret. Reprise, analyse, critique. Si on était en régime électronique, on dirait : une déconstruction. Sauf qu'ici ça joue avec les nerfs et les muscles, à l'ancienne : douze cordes, électricité, pulsation hallucinée, animale et mugissante de la batterie. Lissée dans la technique instrumentale et la puissance brutale des musiciens, une analyse des profondeurs. Relecture opiacée, quasi mégalomane, plongeant toujours plus avant, parcourant tout l'arc-en-ciel de l'obscurité. Il faut au moins ça – au moins ces déroulés de toms déments, emphatiques, au moins ces grilles d'accords solennels jusqu'à la nausée, au moins ces crescendos à l'intensité échevelée, ivres de leur propre répétition, comme jouissant d'eux-mêmes – pour entrer au cœur de l'histoire, dans son épaisseur collective.

La politique des profondeurs est un roman. Le roman de la formation d'un son. Le roman de la formation d'une musique, dans le ressassé de ses origines, dans l'explosion sans cesse renouvelée de ses origines.





N.B. Dans la composition de cette critique, écrite à quatre mains, comme on peut parfois jouer du piano, les deux autres mains sont celles de Mathias Kusnierz.

Chroniqué par Jérôme Orsoni
le 19/03/2011

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