A présent que les années 00 touchent à leur terme, on peut affirmer, je crois, qu’elles auront été marquées par un puissant retour en grâce du psychédélisme. Mais un psychédélisme propre à un monde que nous éprouvons tous comme global, un monde de la disponibilité permanente de tout pour chacun, jusqu’au temps et à l’espace. Pas un coin de l’histoire ou du globe qui ne nous soit inaccessible. Ce psychédélisme : un psychédélisme autant électrique qu'électronique, convoquant la wah wah et le sampler d'un même geste, un psychédélisme machinique et/ou post-industriel et qui cherche en même temps où se logent profondément ses racines. Un psychédélisme érudit,
self-conscious et
de studio, et pas un truc qui se fabrique artisanalement, à coups de drogues elles-mêmes artisanales, dans des lofts new-yorkais, encore que...
Avec
Gang Gang Dance, plus qu’avec tout le reste de l’excellente scène psychotruc actuelle, le psychédélisme est connecté à quelque chose de profondément archaïque, de l’ordre de l’incantation ou du rituel occulte. Quand
God’s Money a paru, tout le bien qu’on en pensait avait été dit, avec cet argument que
Gang Gang Dance imposait une torsion majeure aux conventions de communication de la musique rock. Cela revenait à dire que la musique de
Gang Gang Dance opérait une sorte de table rase des conventions rock pour proposer un autre langage, inouï, le sien. Peut-être qu’à présent, on pourrait ajouter que ce projet moderniste ne se dépare jamais du fantasme (lequel chausse volontiers le masque tribal) d’un retour aux origines, qui ne signifie rien d’autre qu’un grand nettoyage par le vide de la chose rock. Remonter en un temps en deçà de l’histoire du rock, en quelque sorte, mais pour continuer à faire du rock. Faire du rock en en déboutant violemment l’histoire et ses effets de revivals, neutraliser tout ce travail régressif, un peu morbide, des résurrections en tous genres, couler par le fond tous les petits copieurs de fragments plus ou moins mal connus du passé.
C’est ce projet que
Saint Dymphna continue d’explorer, comme une sorte d’alternative au grand essoufflement des musiques électroniques qui, justement, ont complètement abandonné l’ambition d’inventer le son d’aujourd’hui et celui de demain au profit d’une béatitude hédoniste un peu teubée.
Evidemment, dans
Saint Dymphna, il y a des références perceptibles. La première, incontournable, majeure, c’est
Touched de
My Bloody Valentine (sur
Loveless), samplé sur
Vacuum. En son temps déjà
Loveless avait tenté quelque chose d’analogue : repousser le rock jusqu’à son point terminal à coups de murs de guitares massifs. Pour le reste, on retrouvera dès
Bebey ce son caractéristique, unique de
Gang Gang Dance, à la fois archaïque et futuriste (jamais rétrofuturiste, non merci), ce son hors des âges ou d’entre les âges, fait de percussions répétitives et monorythmiques, de sinusoïdes répétitives, de guitares trafiquées (
First Communion, presque clubbesque), de textures électroniques louches (
Dust,
Inners Pace) et d’instruments à vent qu’on dirait millénaires. La musique s’ouvre à d’autres pratiques, en invitant le MC
Tinchy Stryder sur
Princes, très terry-rileyesque.
C’est sûrement un aveu de paresse de ma part, mais le plus difficile reste encore d’identifier, de nommer le son et l’écriture qui s’inventent là, et auquel les sorties précédentes de
Gang Gang Dance nous ont habitué sans nous y accoutumer.
Sainte Dymphna est, nous dit-on, la sainte patronne des malades mentaux. Cette musique n’est certainement pas aussi dingue que celle d’un groupe comme
Boredoms, certes, mais il s’opère en elle le même travail de sape des repères et des conventions, le même engagement vers une musique absolument singulière. Un disque important pour 2008, et (sans vouloir jouer les prophètes) pour la décennie qui s’achève comme, peut-être, pour celle qui vient.
Chroniqué par
Mathias
le 09/01/2009