Opak, deux suisses funambules et somnambules ? Fort probable, mais sur terrain conquis, méticuleusement balisé à l'avance tant il est clair que sur
Two Sleepwalkers on a Tight-Rope rien n'a été laissé au hasard.
Tout démarre dans le calme. Avec
Dewa Che, dub electro propre sur lui, nonchalant dans l'attitude. A l'appui, suit
Epilogue, qui fixe l'altitude de la suspension à venir. Parfaitement canalisée, l'atmosphère y est mise sous torsion par des claviers nuançant à merveille l'inertie statique des bpm. On s'imagine sans trop de problème haut perché, hésitant, une corde vibrante et tendue à nos pieds et, dessous, un trou béant. De ce point de vue, effectivement, ça sent la fin.
On pressent alors que le travail d'
Opak va bien au-delà de la simple maîtrise digitale.
Hypoxyc confirme ce pressentiment. A la panoplie du duo peut s'ajouter un goût pour la mise en scène assez élégant. Dès les premières notes, sereines, l'air se raréfie bel et bien . Paradoxe sensoriel entre la sobriété mélodique d'une ambiance et le caractère plus que ténu des images en résultant.
Les combinaisons deviennent infinies et les gars de Vevey ne sont pas du genre à se priver. La tension monte proportionnellement à cette anoxie qui se propage, aux sons calfeutrés de sourdes percussions et du souffle à demi tubard, brûlant et cuivré d'
Amplitude, qui, un tantinet solennel, ne laissait présager du brassage bordélico-sonore à suivre :
Radiomagnet, balayage d'une bande passante radio, scratchée et distordue avec les dents. Durant ce petit moment de réflexion suspendue, on perçoit au travers de ce sombre aparté tout le caractère dérisoire de cette situation sur le fil (l'intermède
Jo Dassin et son
Eté Indien y est pour beaucoup), nous coinçant entre stress et prise de conscience, comme le funambule lévitant entre exaltation de l'exploit et malaise vertigineux.
Tandis que des percussions toujours plus entêtantes et lancinantes montent des abysses, on comprend bien à quel point
Opak aime à se jouer de nous. Mais nous veulent-ils vraiment du bien ?
Omen, morceau apaisant, de facture plus organique, presque pop, nous pousse à croire que oui. Ressenti d'autant plus tangible que l'expérimental
Le paysage était d'une beauté scandaleuse continuera de nous porter calmement jusqu'aux monstrueux
Looping et
Landing. Plus de vingt minutes cumulées d'explosion post-rock charnelle et bruitiste, splendide De Profundis purgeant à coup de saturation enflammée les sensations fortes procurées par ce vol au dessus de l'abîme, une lente exultation pour l'ultime moment de bravoure d'un album qui n'en manquait pas.
En démultipliant les styles,
Opak propose un voyage puissant et maîtrisé, trop parfois (
Dewa Che aurait mérité qu'on lui lâche la bride). Bourré de rebondissements, de bifurcations soniques, abruptes et volontaires, ce deuxième opus du duo suisse est un véritable casse-tête mélodique dont, étrangement, on ne sort aussi facilement indemne que les deux yeux fermés, les potards proches du 10.
Chroniqué par
Yvan
le 03/05/2007