Lorsqu’il se trouve gêné par l’obligation de devoir parler d’un disque dont il ne sait que penser, le critique musical paresseux dispose d’un certain nombre d’expressions fourre-tout, généralement dénuées de tout sens, mais qui, bien employées, permettent de clore idéalement un article, tout en donnant l’impression d’émettre un jugement définitif et fort pertinent. Exemple : pour décrire un disque qu’il avait beaucoup attendu, mais qui s’avère finalement bancal et décevant, notre critique parlera volontiers d’un « grand disque malade ».
Nul doute que cette formule sera abondamment utilisée dans les chroniques de ce quatrième album de
Sparklehorse, tant il s’agit d’un disque attendu, bancal et décevant. Pourtant, l’expression recèle cette fois au moins un fond de vérité ; s’il ne s’agit pas d’un « grand » disque,
Dreamt for light years in the belly of a mountain souffre bien d’une maladie congénitale, que nous baptiserons, faute de mieux, le « syndrôme du premier album indépassable».
A première vue, en effet, rien ne manque à l’appel de ce que l’on est en droit d’attendre d’un disque de
Sparklehorse : voix fragile et filtrée, batterie sèche, guitares aigres, sonorités tintinabulantes, au service de chansons alternant avec une belle régularité les embardées électriques (ici plus rares qu’à l’accoutumée, même si, dans le genre,
Ghost in the sky est une belle réussite), les popsongs couleur sépia (
Some sweet day, autre petite perle du disque) et les brusques plongeons dans une tristesse sans fond (le morceau-titre – dix minutes de piano esseulé rythmées par le seul « bip » d’une pompe à morphine - en est un exemple certes extrême, mais assez parlant).
Mieux encore : contrairement à
It’s a wonderful life, dont l’impact avait été considérablement ammoindri par la production au glucose du pataud
Dave Fridmann, le choix des producteurs n’influe ici que de manière tout à fait périphérique sur le son du disque : le grand
Danger Mouse est présent, mais totalement transparent (quelques gargouillis électroniques par-ci par-là, sans plus) ; et
Fridmann est de retour, mais on le remarque même pas (cool).
Depuis
Good morning spider, les disques de
Sparklehorse sont en fait autant de bulletins de santé adressés par
Mark Linkous à ses admirateurs ; et après cinq années d’absence et une sévère dépression, on est plutôt rassurés de recevoir celui-ci - qui, comme ses prédécesseurs, est d’ailleurs globalement bon.
Le vrai problème est qu’à l’instar des deux disques précédents, ce nouveau
Sparklehorse pâtit fatalement de la comparaison avec
Vivadixiesubmarinetransmissionplot, pur joyau de mélancolie électrique qui avait inauguré la carrière discographique de
Linkous en 1995, car l’intensité et l’urgence, partout présents sur le premier album de
Sparklehorse, sont singulièrement absents ici. Et si vous en doutez, posez-vous les questions suivantes : qui oserait sérieusement soutenir que
It’s not so hard est le digne successeur du
Rainmaker d’antan ? Qui pourrait affirmer avoir pleuré autant sur
Return to me que sur
Homecoming queen ? Qui, dans quelques années, pourra jurer sans rire que
Dreamt for light years... a changé sa vie ? Personne, et sans doute pas même Linkous lui-même.
Par gratitude envers cet homme, et en hommage à un premier album aussi bouleversant aujourd’hui qu’il y a douze ans, permettez-moi cependant de prendre quelques libertés avec la déontologie : ce nouvel album, dira-t-on, est un grand disque malade.
Chroniqué par
Bigmouth
le 20/02/2007