C'est un peu comme si le premier accord rendait disponible une sorte de préscience du disque à venir. Un peu comme si cet accord répété encore et encore (trois minutes en comptant ses quelques variations) inscrivait dans l'espace sonore une couleur qui — malgré ses évolutions en nuances tout au long de l'album — était d'emblée appelée à n'être jamais altérée. Comme si le ton était donné, certes. Mais, aussi comme si le ton pouvait se donner d'emblée dans un seul accord et derechef et encore, à chaque fois que cet accord est joué [
Slow].
Supposons, à présent, que ce ne soit pas possible. Supposons, du moins, que telle ne soit pas l'intention de David Maleed, maître d'œuvre de ce premier album éponyme de
Gricer.
Que resterait-t-il?
Une musique qui, en douze pistes, cherche autant de manières de se propager et de se faire entendre.
Alternant les tempos, les rythmes, les ambiances (par exemple : le lent de
Staccato et le chaloupé quasi-bossa de
Taut ; le très court
Skin and bone contre le relativement étendu
Folk) jusqu'à créer de fortes dissensions entre des pièces qui ne se contredisent pourtant pas,
Gricer est un disque d'une grande richesse. Une guitare électrique en forme de figure de proue (le premier accord) qui n'étouffe pas les autres autres instruments mais qui, comme sur
Trumpet et son riff à mi-chemin entre
Led Zeppelin et
Tortoise, les laisse être eux-mêmes, c'est-à-dire tout autre chose que des faire-valoir. Ainsi de
Folk qui s'élabore à partir d'un jeu d'amplication progressive sur des harmoniques, la guitare et la basse ensemble tout d'abord, la première abandonnant l'autre ensuite pour errer librement, la seconde offrant alors une base continue à ce qui a toutes les apparences de l'improvisation [les mêmes harmoniques jouées à la basse seule seront reprises dans ce duo avec violoncelle que constitue
The weight and the well-known name ; écouter aussi, sur un mode différent, les harmoniques de
Land]. Et, quand la musique se fait plus atmosphérique, plus environnementale, ce n'est jamais par désespoir ou faute de mieux, mais bien plutôt pour fournir un fond sur lequel des cordes vont pouvoir se déployer comme un autre fond sur lequel une trompette va pouvoir trouver, dans ses involutions, un moyen sûr de se faire entendre, par constraste avec le ronronnement dominant.
Parfois, un accord vaut mieux que la musique qui l'agrémente. Chez
Gricer, il n'en est que le plus saisissant des préludes.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 09/12/2006