Benoît Delbecq et
Steve Argüelles poursuivent avec ce
9Volt Trippin’ leur explorations climatologiques et urbanistiques, sur un mode basse tension cette fois (le premier album,
We da man!, se voulait davantage énergique). A savoir : la musique proposée ici est feutrée (témoins les sonorités fantômes égrainées au milieu du piano de
Benoît Delbecq dans
Pori), et joue à plaisir du courant alternatif, chaloupée, bien balancée, elle avance à pas mesurés, séducteurs, suborneurs. Discrète et tissant des harmonies ténues (
Bergen) ou marquant le temps d'une pulsation plus énergique (
Agen) ou, encore, jouant de la dissonance avec une nervosité qu’on ne lui connaît guère (
Cithéa).
Il faudrait éclairer immédiatement une question essentielle : pourquoi aimer la musique d’
Ambitronix, dans sa modestie affichée, sa discrétion ? Pour deux raisons : sa capacité de séduction immédiate et son intelligence. On pourrait même dire : son intellectualité. C’est devenu chose rare, désormais, qu’un disque veuille se tenir immédiatement dans la sensation tout en pensant à ce point ses
modus operandi, son identité, ses conditions de possibilité. A vrai dire, il me semble que
DJ Spooky est le dernier à l’avoir fait dans les musiques électroniques, jusqu’à pousser le bouchon conceptuel parfois un peu trop loin. Ici, on est parfois pas loin d’
Optometry, dans la manière d’opérer comme dans la légèreté et l’exact équilibre entre cérébralité musicale et sensualisme sonore.
Les deux mots d’ordre, ici, sont
aléatoire et
incertitude. De l’aléatoire,
Benoît Delbecq fait sa matière, dans un jeu déstructuré, avec le piano préparé en guise de ruine. L’incertitude quant à elle tient dans l’ambiguïté endémique du son : d’où viennent les cellules sonores qu’utilise le duo, sont-elles jouées live, enregistrées, samplées ? Ce qu’on entend est-il joué, rejoué, pillé ? La musique est-elle humaine ou machinique, et n’y a-t-il pas un enjeu de taille à dépassionner, désaffecter la musique comme le font Delbecq et Argüelles (à la manière, en somme, de Monk : jeu très cérébral, sans passion, mais extrêmement vif, intelligent, stimulant au-delà de la simple intelligence) ? Question d’autant plus troublante qu’Ambitronix est un projet conçu pour le live. Aussi entend-on, à la fin de
Cithéa, les clameurs du public. Sample, morceau enregistré live, son venant en prolongement ou en clôture du morceau, rien ne saurait être arrêté, décidé. Vincent Poymiro a ces mots très éclairants : « La réalité est donc devenue une sorte de réservoir sonore dont les extraits sont destinés à venir, parfois, s’interpoler dans un environnement musical. Et là commence le trip, dans cette incertitude. (…) Et les morceaux, dans leur développement, invitent très clairement à ce jeu de dépaysement, de voyage par perte de la boussole, mettant en place tout un système de chausse-trappe, faux départs, cellules affirmées, puis disparues, comme gommées, sous-entendues peut-être, puis faisant retour… » Si la musique d’
Ambitronix est climatique, c’est par cette manière très spécifique qu’elle a de modifier la réalité qui entre en contact avec elle, précisément de la transformer en son, tandis que le son est toujours quelque esquisse de carte. Une sorte de petit boîtier branché sur du 9 volts, et qui recycle en permanence ce qui passe à sa portée. Le résultat ? Une musique indéfinissable, œuvre de franc-tireur, belle et intelligente. De quoi se laisser facilement tenter…
Chroniqué par
Mathias
le 26/05/2006