Les deux volumes des
Exchange Sessions, publiées chez Domino, constituent une petite plate-forme permettant d’éterniser tant bien que mal les performances live de cette association impromptue – ou pas – entre
Kieran Hebden et
Steve Reid. Performances dont l’intensité est incommensurable en CD… Et c’est pourquoi il fallait deux volets à cette bulle sonore de liberté et de vie.
Les deux premiers morceaux du
Volume 1 semblaient nous introduire comme par la main à un monde de désapprentissage, et à une musique qui affirmait son insouciante et sincère singularité. La progression vers le chaos était assez calculée pour ne pas perdre en cours de route les oreilles atrophiées par ces grands canons de l’Harmonie et consorts. Et la clarté des timbres ethniques permettait un rassemblement mystique autour d’une musique enfante, comme retournant à l’époque où l'homme ordonna ses cris en musique.
Dès le premier morceau de ce
volume 2,
Four Tet nous plonge sans ménagement dans ses sonorités favorites. La répétition est névrotique, et le rythme obsessionnellement organique de la batterie de
Steve Reid ne nous demandent pas de nous habituer à eux. Mais de s’en laisser surprendre, une quarantaine de minutes durant. L’expérimentation semble beaucoup plus marquée, comme si chacun des deux artistes avait décidé de confronter sans trame de fond, sans structure, leur univers brut de sons, et de miser sur le hasard concernant le résultat final.
Bien plus « sonore » que « musical », le
volume 2 des Exchanges Sessions incarne le pari impossible de la confrontation sans aucune amputation personnelle de son univers créatif. La communication est possible et le consensus n’a pas à en être le but.
Ce rappel permet d’envisager la nouveauté et l’atypique sous un regard moins réducteur. Parce que nous pouvons réécouter cet opus, parce que chaque son peut être rappelé à la mémoire, il est difficile de constater que ce volume est beaucoup plus représentatif des performances live du duo que le premier : il plonge de plein fouet dans la déstructuration et le rythme pour lui-même, peut-être même dans un amusement qui va au-delà du rythme, et il n’assure plus aucune stabilité de l’écoute. C’est à la première écoute de ce volume, celle qui rompt l’inconnu, qu’on apprécie le JEU qui caractérise l’univers créatif de
Kieran Hebden, et l’acharnement euphorique de cet émoi du rythme que concentre
Steve Reid, par une maîtrise de la tradition millénaire qu’il retransmet avec l’enthousiasme d’un enfant et une capacité de communication impressionnante.
Au milieu du chaos apparent et de la juxtaposition très rapide de sons, on constate qu’une sorte d’attention spontanée a été portée à chaque son, de telle manière qu’on se trouve face à un champ très uni et presque cohérent dans sa fébrilité instable, mais aussi face à une mosaïque de détails dont on aurait envie de cerner la singularité à chaque fraction de seconde. Le rire enthousiaste de
Steve Reid se heurte tout d'un coup à des sonneries très électroniques accompagnées d’infrabasses…
Le tout est… innocemment hypnotique.
Le désapprentissage est tel que toute théorie est reléguée au dernier plan, au profit d’une affirmation conjointe et étonnamment harmonieuse, de deux mondes originaux et uniques.
Chroniqué par
Lou
le 24/05/2006
