Disons-le tout de suite,
La Forêt, comme son prédécesseur
Fabulous Muscles, engage avec l’auditeur un rapport trop intime et profond pour être réductible à un pauvre succédané de mots ancillaires.
On est d’emblée, et contre toute attente, ravi, au sens propre, par cet univers qui n’a rien d’autre que la nudité et la crudité d’une intériorité malade à lui offrir. Jamie Stewart met ses tripes sur la table, et le pire c’est qu’on mange sans broncher.
On mange ces angoisses qu’il nous crache à la figure, ou susurre dans un souffle saccadé, on boit à la coupe d’une poésie érudite et noire, nourrie d’un onirisme énigmatique que contrebalance une matérialité crue saisissante : “George, when it comes to bedtime my sweetness will not go to waste I will shoot this arrow right up anus and you ‘ll taste what we taste, I will stab it right through the bottom of your mouth you’ll taste what we taste, what you make them taste” (c’est George Bush qui est visé). Usant d’une lancinante tristesse répétitive (“There will always be a jar of ash there will always be an unfit man there will always be a lonely son”), ou d’une violence verbale corrosive et désabusée (“you became a faggot dressed like a bunny beating off non-stop to the escort pages”) , disant ici la misère sexuelle, Jamie Stewart nous entraîne dans la mythologie baroque et singulière de ses angoisses existentielles.
A des textes d’une grande beauté, Jamie offre l’écrin d’un chant qui mue de la confession murmurée au râle violent. La voix, mixée en avant ou au contraire réduite à une rumeur de mots presque indiscernables, est le fil d’Ariane, discontinu, qui nous entraîne ici dans le dédale d’un groove étrangement pop et dansant qui se heurte soudainement à un déferlement électro bruitiste saturé (
Muppet Face, sommet du disque). Ailleurs, la retenue douce de
Ale, qu’illumine le phrasé d’une clarinette, pour un morceau qui n’est pas sans évoquer Mark Hollis, achoppe violemment par contraste à l’intensité de
Bog People qui lui succède.
Brut et sans fioritures de production, le son de
La Forêt bénéficie cependant d’une instrumentation riche (vibraphone, autoharp, synthé, guitare, programmation, piano, percussion, harmonium, tuba etc), mais distillée, dispensée par fragments plus ou moins longs, éclats brefs ou lambeaux flottants, au gré d’humeurs plus ou moins volubiles. Celles-ci trahissent l’authenticité d’une sensibilité qui cherche la voie la plus juste pour se dire, et qui y parvient, dans la subtilité des contrastes. Ainsi, et c’est une des plus grandes qualités de cette musique, l’auditeur n’a pas le sentiment d’être le captif d’un dévoilement impudique et solipsiste. Mais plutôt d’être le confident d’un artiste singulier qui, plus que d’autres, et avec une sincérité confondante, semble jouer sa vie en musique.
Merci à Nil pour ses remarques
Chroniqué par
Imogen
le 22/05/2006