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Ainsi, le parcours débute comme tout a commencé : avec
Clangs. Si le disque immortalisait un concert donné en février 1976 par le duo
Andrea Centazzo /
Steve Lacy, il était, plus encore, l'origine de tout : de l'existence d'Ictus comme de l'évidence, pour le percussionniste italien, d'avoir son mot à dire en musique. Mais pas de précipitation pour autant. En effet, l'écoute de
Clangs semble d'abord nous révéler les doutes légers d'un
Centazzo qui chercherait les raisons à son refus poli de ne pas laisser
Lacy à un exercice qu'il apprécie pourtant, l'enregistrement en solo. Et puis, oubliant les hésitations charmantes, le voici qui range ses interrogations au moyen naturel de ses interventions, soulignant ici à merveille l'envolée du soprano, ou participant auprès du maître à l'élaboration d'un blues moderne et grinçant sur
The New Moon. Transmettant à son partenaire ce qu'il avait reçu de
Monk,
Lacy dévoile à
Centazzo la méthode première à appliquer en concert : "Lift The Bandstand", ou se laisser emporter.
Par la suite, les deux hommes mettront en musique leurs retrouvailles, qui donneront lieu à presque autant d'enregistrements pris en charge par Ictus :
In Concert, album sur lequel
Centazzo et le contrebassiste
Kent Carter offrent au saxophoniste l'appui irréprochable d'une section rythmique engageante - sur
Stalks ou
Feline, notamment ;
Tao, où l’on retrouve le duo le long d'extraits choisis de concerts organisés en 1976 et 1984. Et
Centazzo de révéler devant
Lacy la couleur particulière sur laquelle il aura, entre temps, mis la main, au son des résonances des percussions de
Tao #4, morceau qui prend acte de la transformation de l'inédit en véritable identité.
Ne restait plus à
Andrea Centazzo qu'à partager un savoir-faire dès lors incontestable. Sur le champ improvisé, le percussionniste s'engouffre en compagnie du
Rova Saxophone Quartet, et démontre avec
The Bay d'autres prédispositions encore : celles de leader, et de styliste fantasque. Quand
Trobar Clus expose une musique contemporaine tranchante,
O ce biel cisciel da udin transforme un pseudo folklore décomplexé en free jubilatoire. C'est l'avantage de l'improvisation, qui ne peut se satisfaire longtemps de prendre l'apparence d'un seul et unique genre, et préfère se plier aux règles de l'exercice de style ou, encore mieux, à celles de la perte de références. Jeu que
Centazzo apprécie plus que tout autre, pas effrayé de se frotter ici ou là à l'expérimentation la plus radicale.
Sur
The New York Tapes, par exemple, où, en pleine ère No Wave, il décide d'enregistrer en sextette des pièces d'un bruitisme différent et faste. Se glissant dans l'amas des fulgurances collectives, les solos introspectifs de
Polly Bradfield,
Eugene Chadbourne,
Tom Cora,
Toshinori Kondo ou
John Zorn instiguent sous les coups de leur visiteur une propagande de l'intuition, inflexible et frondeuse. Un peu plus tard, entre 1978 et 1980,
Centazzo retrouvera certains de ces musiciens au sein de formations plus réduites. Aux Etats-Unis, toujours, où il multipliera les enregistrements en duos et trios, dont
The US Concerts propose un panorama superbe. Aux côtés de
Cora,
Chadbourne et
Kondo, mais aussi en compagnie de
Vinny Golia,
John Carter ou
Ladonna Smith, il confectionne des improvisations sensibles qui, si elles versent dans l'expérimentation, ne l'empêchent pas de glisser ici ou là un peu de la subtilité des percussions japonaises qui accompagnent le déroulement d'une représentation de kabuki. Passeur éclairé,
Centazzo n'est rien moins que le maître d'oeuvre d'une rencontre entre deux mondes qui n'ont pas besoin de traités écrits pour s'entendre.
A suivre...
Chroniqué par
Grisli
le 19/05/2006