La musique de
One-Two, sa dimension fun mise à part, c’est un peu comme la « littérature » et le « cinéma » générationnels (je me permets les guillemets par respect pour ceux qui œuvrent pour le cinéma, pour la littérature),
Bridget Jones,
Célibataires, les romans de Marc Lévy, d’Anna Gavalda et de Philippe Delerm, ce genre d’horreurs : la pire espèce de littérature, de cinéma, de musique, celle à éradiquer, celle qu’on aura jamais fini d’épuiser (du côté de l’exploitant comme de l’adversaire) – elle renaît toujours comme la chienlit, toujours prompte à ressusciter et refourguer les mêmes vieilles formules académiques en vantant et vendant sa fraîcheur, bras-en-l’air, amour et printemps – c’est parfois vrai, c’est faux ici.
Pas sans procès toutefois, c’est pour cela que nous sommes ici (vous, moi,
One-Two et cet article). Qu’y a-t-il dans
One-Two, que propose ce duo ? Une pop assez conventionnelle type sixties, visiblement influencée par les
Beach Boys, mi-acoustique mi-électrique, gonflée à l’aide d’une production digitale peine-à-jouir, qui n’accouche même pas du gros son qu’on est en droit d’attendre (dans pareil cas, c’est bien la seule consolation, la seule chose à laquelle se raccrocher). Les effets sonores rétro-futuristes (on n’aura jamais réglé son sort à cette catégorie marketing) se disputent le mix avec les harmonies vocales (yeah eah wouh ouh ouh), les riffs et les lignes de basse binaire. Tout cela, à la limite, pourrait fonctionner le temps de quelques soirées, si le fun n’était pas irrémédiablement parasité par une sorte de conscience de soi et de sa classe absolument rédhibitoire qui fait de cette musique un pur produit marketé pour fan de pop et de
Daft Punk, ultra-ciblé, estampillé
next big thing par des revues paresseuses en mal de sensation et d’actualité éditoriale, un produit qui trace le sillon qu’on attend de lui, pas plus, même pas moins (si elle était déceptive, cette musique pourrait encore surprendre, de manière limite : ce n’est même pas le cas).
Musique située, ultra-locale dans le temps et l’espace (Paris, maintenant mais pas demain), pour branchouilli-rive-gauche, musique qui n’a pas d’autre vocation que d’émettre à destination d’un public déjà acquis les signes (franges, badges, look eighty, costard-cravate sur tennis de marque et coupe de cheveux étudiée) par lesquels ce public se constitue, se reconnaît dans
One-Two et affirme son identité, pas d’autre vocation que de proposer l’image privilégiée d’une musique qui a tous les signes éclatants et intelligibles de son identité (mais qui joue l’abandon de soi, la liberté, la redéfinition : « What a shame I forgot myself (…) now you want me to be someone else » dit le chanteur), une musique qui se voit de loin (autant dire que, derrière le fun et la popitude de façade, la musique de
One-Two a tout de l’
institutionalité la plus moisie, celle qui n’a plus d’autre destination que de conserver son public et réaffirmer son identité dans un processus circulaire et sans fin) – la musique comme miroir tendu à un groupe narcissique moins soucieux de musique que d’auto-reconnaissance et de pratique sociale via la musique – nouvelle
place to be, sans ampleur ni souffle ou ambition quelconque, la musique de
One-Two disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue, consumée dans le petit buzz mesquin qui l’a fait naître : petite consolation au milieu de la désolation – vous aussi, vous pouvez œuvrer à déboulonner cette pseudo-idole, cette imposture simili-musicale.
Chroniqué par
Mathias
le 27/04/2006