Certains groupes ont cette capacité à exposer clairement leur univers, à le rendre familier en quelques mesures. On entre dans leur musique par la grande porte, tout est là, tout semble avoir toujours été là, accessible. Évidemment, face à une telle clarté, les esprits chagrins auront tôt fait de regretter l’absence de surprises : puisque tout est posé d’emblée, que reste-t-il à découvrir ?
Fago.Sepia est un de ces groupes. Mais son accessibilité ne signifie pas sa simplicité. Là où certains groupes s’évertuent à mettre à distance l’auditeur en repoussant les limites du bruit, et en installant, c’est ce que l’on peut redouter, un mur sonique entre eux et leurs auditeurs,
Fago.Sepia opte pour la clarté du son, le cristallin des guitares électriques qu’aucune saturation ne vient déformer. Et, comme en contrepoint de cette limpidité sonore, des structures sinueuses, enchaînées dans une succession d’une perfection exceptionnelle, viennent déranger cet ordre linéaire auquel on aurait pu s’attendre.
En un sens, on veut le croire, la musique de
Fago.Sepia est, par analogie avec le titre de leur deuxième enregistrement :
l’âme sûre ruse mal, un palindrome. On peut la lire dans tous les sens. Mais, contrairement, à ce qui se passe dans la langue, il ne s’agit pas de lire la même chose à l’endroit comme à l’envers ou de se retrouver à la fin comme au début. Il s’agit bien plutôt d’entendre à chaque fois dans la musique la différence, c’est-à-dire aussi bien : ce qui dans la simplicité apparente se révèle être d’une complexité assez rare — ce qui dans la complexité que l’on découvre se révèle être particulièrement efficace — ce qui, dans la musique de
Fago.Sepia fait bel et bien la différence. En se risquant à la surinterprétation, on osera avancer que c’est le formalisme de
Fago.Sepia qui fait la différence. Formalisme qui se manifeste dans le choix de ne titrer leurs morceaux qu’à l’aide de chiffres, ce qui les met à l’abri de toute signification extra-musicale. Formalisme que l’on trouve encore manifeste dans ce titre donné au disque et qui renvoie moins à la signification de la phrase, qu’à sa symétrie.
En croisant une orientation "math-rock" avec une certaine forme de "jazz", les musiciens de
Fago.Sepia démontrent presque deux ans après
leur premier EP autoproduit une fois encore leur capacité à jouer avec les genres auxquels on pourrait renvoyer leur musique. Capacité à brouiller les pistes comme ils brouillent la linéarité de leur musique, comme ils parviennent même parfois à se déprendre de la clarté de leur son : en explorant les joies d’un jeu particulièrement concertant et explosif (
Six) ou encore en laissant apparaître la saturation dans la force avec laquelle les cymbales peuvent être choquées (
Cinq).
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 17/04/2006