Quasimoto…Un personnage de plus à rattacher à la troupe éclectique et complexe d’
Otis Jackson Jr, un des personnages le plus troublant de l’histoire du hip-hop. Si ce nom ne vous dit rien, peut-être qu’avec des noms comme
Madlib, ou
Madvillain, ou encore
Jaylib et
Yesterday New Quintet, vous y voyez plus clair. Hum, ce n'est pas gagné. D’un autre côté, le contexte n’est pas des plus évidents : une personne et une multitude de personnalités pour autant de projets plus conceptuels et barrés les uns que les autres. Et avec
The Further adventures of Lord Quas on a la confirmation que l’état de santé psychologique d’
Otis Jackson Jr ne s’est pas franchement arrangé.
Le
Sieur Quas’ est certainement le plus allumé des alter ego d’
Otis Jackson Jr, avec
Madlib, qui lui se retrouve à la production de cet album. Les présentations étant faites, il faut maintenant que vous regardiez attentivement la couverture du disque. Vous êtes face à un dessin, qui représente apparemment le toit d’un immeuble assez lugubre au coin d’une rue. A son bord –l’idée d’embarquement n’est pas fortuite – vous trouvez toute une série de personnages assez bizarres. En regardant mieux vous apercevrez, en haut à gauche, un personnage hilare qui tient une gratte dans sa main gauche et derrière qui se tient une grosse dame à lunettes.
Cette image, sample pictural parfait, est issue de la pochette du double album de
Wild Man Fischer, un musicien maboul découvert dans la rue par
Frank Zappa, à la belle époque de
Bizarre records. C’est ce même
Zappa qui, en 1968, produira ce premier album
An evening with Wild Man Fischer d’où est extraite la photo. Il s’agit d’un album documentaire où se croisent dans un défoulement fantasque chansons, conversations, répétitions et témoignages.
Sur cette même pochette,
Zappa écrit entre autres choses : « Enfant il était très timide, il n’avait pas d’amis. (…)Un jour, il décida de devenir plus agressif et il écrivit ses propres chansons et les chanta aux gens qu’il rencontrait en leur expliquant qu’il n’était plus timide désormais. Tous le prirent pour un fou (…) Attendez plusieurs écoutes avant de décider si vous aimez ce type ou non. Il a quelque chose à vous dire que vous vouliez l’entendre ou non. »
C’est peut-être intéressant d’avoir en tête cela avant de se jeter dans l’écoute de
The Further … , mais pourquoi ? Pourquoi ce parallèle avec cette époque alors que
Madlib est un producteur contemporain reconnu, défricheur de première classe dont la simple évocation fait frémir de plaisir tout l’underground mondial ? Parce que d’une part
Madlib c’est avant tout
Otis Jackson Jr qui est un féru de psychédélisme, ses productions sonores antérieures en attestent. Mais aussi parce que, comme
Wild Man Fisher,
Otis Jackson Jr est mentalement névrosé et d’une timidité sans nom. Ce qu’il ne parvient pas à exprimer, il va donner les moyens – et les substances – à
Quasimoto et
Madlib (et les autres !) de le faire concrètement.
Et il nous prouve qu’il est très à l’aise dans cette position de marionnettiste fou,
Madlib offrant une nouvelle aire psychotropique de jeux à
Quasimoto, qui plus défoncé que jamais, nous expose ses visions psychédéliques du quotidien. Le lascar est toujours obnubilé par la recherche du break parfait (
RAW Addict Pt2), et claironne à qui veut l’entendre un hymne halluciné dédié au rap de la dernière décennie sur
Rapp Cats Pt3 , démoniaque suite du
Jazz Cats Pt1 de
The Unseen, son premier méfait. Son objectif ultime est d’éclater la tronche de la pensée unique à coup de lattes et de breaks multicolores et fumeux tout en sifflant le maximum de bouteilles (« Bartender Say »). Pour ce qui est des ambiances sonores, c’est un patchwork génial dont l’échantillonage n’est pas franchement musical.
The Further… est un album confit de dialogues de tout poil où se croisent
Madlib,
Lord Quas (et ses cordes vocales pitchées à l’Hélium et à la Ganja) ainsi qu’une myriade de personnes qui ne cesseront de discuter, même une fois la platine éteinte (
Metal Face Doom et le cinéaste contestataire des 70’
Melvin Van Peebles se taillent la part du lion dans le lot).
La puissance foutraque de
The Further… est concentrée là , dans ce procédé qui en déroutera plus d’un.
Madlib et son double psychopathe, au même titre qu’un
Captain Beefheart il y a plus de trente ans (écoutez « Trout MAsk Replika » du Capitaine au Cœur de Bœuf et son orchestre magique, les résonances sont impressionnantes), se lancent dans la colonisation de vos synapses et la spatialisation de vos perceptions sensorielles. Par rapport à The Unseen, la connexion avec cette période alternative et subversive qui prit corps notamment à L.A. à la fin des 60’ devient vraiment prégnante. On comprend désormais le concept de l’album : faire éclater au grand jour une envie folle de bafouer les codes et de bafouiller sur tout et n’importe quoi, sans se poser la question du respect des conventions. Et c’est réussi !
Si avant la fin de la première écoute des « Les Nouvelles Aventures du Sieur Quas » vous vous sentez étrange, n’y voyez rien d’anormal, bien au contraire. Respirez à fond et poursuivez calmement votre écoute… Ce sont juste vos sens qui vous remercient pour le voyage. Alors bonne route !
Chroniqué par
Yvan
le 19/03/2006