Regroupant des « pièces sonores » et des morceaux composés entre 1992 et 2001,
Le Bout de la langue de
Dominique Petitgand est un ensemble de vingt quatre miniatures parlées, vingt quatre récits émaillés d’une instrumentation tant hantée que minimale.
A la manière des constructions romanesques de Pérec, les histoires de
Petitgand forment la mosaïque narrative d’une même famille de sept personnages récurrents, dont les voix enregistrées content avec une spontanéité totale les aventures de leur quotidien, tissent à l’aide de mots l’étoffe des jours.
Toute musique est narrative pour
Petitgand, qu’elle soit parlée, muette, que le récit soit embryonnaire, complet ou simplement descriptif, qu’il prennent la forme d’une géographie à échelle réduite ou d’une simple atmosphère, muette au besoin.
La voix se mêle au bruit (que
Dominique Petitgand décline en une gamme quasi infinie, comme si la somme de ses bruits cherchait à devenir monde) et aux instruments eux aussi innombrables (guitare , cymbales, tzouras, tambour, trompette, cloche, métallophone, flûte, orgue, règle électrifiée, guide-chant), sans jamais poser de hiérarchie entre ces catégories, fidèle à ce beau et paradoxal credo : « La musicalité partout, la musique parcimonieuse. » On ne saurait mieux résumer la délicatesse et la retenue de ces pièces, d’une ténuité telle que ce sont les silences qui forment la matière lacunaire et précieuse de ce disque, à la fois structure informelle, espace où peut exister – miraculeusement – la musique et principe rythmique.
Le silence, toujours sur le bout de la langue, entre la phrase qui cherche le mot et le mot à venir, encore interdit, et surtout, promesse de récits infinis : cette attention aux paroles de tous les jours, ce soin témoigné à l’égard des individus et à la préciosité de leur existence fait de la musique de
Dominique Petitgand une entreprise sans équivalent, d’une beauté qui – pour une fois, tant la suspicion que j’attache à ce genre d’entreprises trouvera ici son exception – réenchantera l’univers quotidien.
Chroniqué par
Mathias
le 06/02/2006