Dans le livret de
The Feeling of Jazz, le saxophoniste
Jean Derome écrit : « Je ne sais pas pourquoi des blancs francophones jouent du jazz en 2005 à Montréal. » Plus loin, au lieu de se satisfaire d’un expéditif « Pourquoi pas ?», il trouve une réponse d’une simplicité qui le pare de toute attaque critique : « Cette musique est tatouée dans nos cœurs et nous la jouons parce que nous l’aimons et que ça nous rend heureux de le faire. »
Ce discours, vomitif lorsqu’il est tenu par un musicien dont la médiocrité de l’étoffe est aussi discernable que l’ignorance qu’il a d’un art qu’il s’autorise à transformer en addition de propositions vulgaires et vides, porte ici l’entier album avec conviction. Et trois blancs de Montréal d’investir des standards avec insouciance, animés non par le désir de bien faire, mais par celui de le faire, tant qu’il leur plaira.
Alors, avec
Jump for Joy, on entame une sélection ouverte, prônant la diversité la plus libre :
Ellington, donc, se trouve ici repris, mais aussi
Sonny Clark (le swing brillant de
Sonny’s Crib),
Misha Mengelberg (
A Bit Nervous,
Rollo II), ou quelques thèmes issus du répertoire de
Dolphy (
Jitterbug Waltz) ou
Billie Holiday (
Getting Some Fun Out of Life). A chaque fois, la section rythmique, assurée par
Normand Guilbeault (contrebasse) et
Pierre Tanguay (percussions), est irréprochable – classique, certes, mais efficace.
Quant à
Derome, il pose sans paraître concéder le moindre effort son saxophone, sa flûte, ou sa voix. Car le jazz n’est pas qu’instrumental, et comme le trio l’apprécie dans sa globalité, il lui faut aborder la sous-section vocale. Faisant peu de cas de ce qu’on pourrait facilement lui reprocher,
Derome frotte ses cordes à un thème de
Cole Porter (
Five O’Clock Whistle), repeint en noir
You’d Be So Nice To Come Home To, ou inocule un peu de rock – voire, de punk – au mille fois ressassé
I Won’t Dance. Sur les paroles défendues jadis par
Billie Holiday, le trio persiste : « May be we do the right thing, May be we do the wrong », répétant qu’il ne sert à rien de chercher à estimer la valeur des résultats.
C’est d’ailleurs dans cette certitude qu’il faut repérer la pièce maîtresse de la mécanique de
The Feeling of Jazz, d’où aura découlé toute la qualité. Générant le plus souvent quelques gènes porteurs de tares abîmant l’oreille, la priorité du désir sur tout le reste trouve chez
Derome,
Guilbeaut et
Tanguay, l’exception confirmant sa règle dommageable.
Chroniqué par
Grisli
le 23/12/2005