Les deux EP
Hangable Auto Bulb étaient successivement sortis chez Warp en 1995. Avec cette réédition sur CD qui respecte les tracklistings et la chronologie d'origine, court interlude compris (
Bit), plus question de passer à côté de ces morceaux d'
Aphex Twin. Nombre de jeunes créateurs fascinés courent encore après des variations des sonorités-étalon du morceau titre (
Hangable auto bulb) plutôt que d'imiter la démarche elle-même et ainsi trouver des modes d'expressions qui leur soient propres. Quitte à défoncer une porte ouverte, il faut dire que si la tendance rétrospective actuelle leur est profitable en termes d'exposition, cette ressortie vient remettre les métronomes à l'heure en démontrant que les sonorités ne suffisent pas. Vous appellerez ensuite comme vous le voudrez, inspiration, talent, créativité, ce qui permet qu'à l'écoute, loin de toute nostalgie, le simple plaisir musical expulse l’éventuelle sensation d’une musique
datée.
Ce sont les mélodies qui captivent l'attention en premier lieu. Elles atteignent parfois ici la qualité de celles de ses
Selected Ambient Works (
Hangable Auto Bulb,
Arched Maid Via RDJ) et mettent en place des ambiances qui stimulent l'imagination. La relative sagesse, contemplative, répétitive, anti-complexe, de ces mélodies qui sont autant d'étoiles non compromises, de l'ordre d'un lexique electronica à l'état pur et primitif, est d'un effet d'autant plus immédiat qu'elles sont offertes avec la grâce du synthétiseur sci-fiste. Il est surprenant de constater comment
Aphex Twin s'appliquait déjà à élastifier ses textures, en éprouver les possibles résonances lunatiques à force d'échos assombris, et à effriter la rythmique, poussant vers des désarticulations perverses ses batteries sonnantes et trébuchantes (
Laughable Butane Bob). Dans le même mouvement, il expérimentait des fuites grondantes, des ruptures de constructions inopinées, des jeux dynamiques de lumières et de matières dont la danse semble faite pour durer toujours.
Ludique des effets, grain du vrai-faux analogique, expérimentation des possibles déroutes (synthétiseurs en chute, billes en mutation, rayures et lacérations, métaux embués) prennent le temps de l'évocation noctambule, et font miroiter un ciel de l'électronique où l'ultra technologie, les jugements de mode ni les considérations intellectuelles n'ont de prise sur le plaisir qu'il y a à écouter ce qui s'entend comme programmation - progression spontanée et menée par les intuitions affectives. On réalise alors combien un guide de la carrure d’
Aphex Twin, visionnaire et d'une portée universelle, nous manque aujourd'hui.
Chroniqué par
Guillaume
le 25/11/2005