J'ai trouvé une idée de roman ! Non pas peindre la vie des gens, mais la vie elle-même ! Les sons... l'espace... les couleurs ! Joyce a essayé, mais on doit pouvoir faire mieux !
Very Rec, ou
l'enregistrement même. Ou alors, autrement traduit, plus littéralement et gauchement,
très enregistré. A l'instar de
Scanner cartographiant le son des villes sur
Sound Polaroids ou de la récente compilation
The Noise and the City parue sur
Autres Directions In Music, ou même dans un autre registre, de
The Books compilant dernièrement de vieilles archives sonores de l'Armée du Salut,
Secret Mommy est allé, micro dissimulé fait main et en main, capter l'identité sonore de lieux publics, chacun des douze morceaux correspondant ainsi à un lieu. Et, sans révolutionner le genre du
Field Recording, propose un bon disque, lequel offre, en plus d'être un joyeux essai de
digital groove, des angles d'approche intéressants sur la question.
Plutôt que de proposer un album contemplatif qui se chargerait de capter et d'animer les atmosphères, images de lieux ou de personnes,
Very Rec se centre clairement sur les activités qui donnent vie aux lieux qu'il investit. De sorte que l'on est plus dans la cartographie minutieuse d'une ville (
Scanner), ni dans la reconstruction d'un monde via le portrait sonore de villes de tous horizons (
The Noise And The City), mais davantage dans le dessin d'une carte faite de lieux collectifs et anonymes, non-lieux tant est vrai qu'ils existent en chaque grande ville occidentale. Vancouver, la ville d'origine, s'efface complètement dans l'anonymat du son, au profit, de la captation de la vie, du mouvement, des dynamiques.
Et donc, au sein même de cet anonymat du lieu, c'est l'anonymat du corps qui fait irruption : dix morceaux ont pour origine une activité sportive plus ou moins physique, sur laquelle vient se modeler la piste, témoin l'emblématique
Tennis Court qui, au milieu des polyrythmies fragmentées, éclatées, concassées, vient glisser la pulsation régulière d'une balle frappant une raquette. Quand des silhouettes et des visages réapparaissent aux travers de voix (
Yoga), elles sont comme oblitérées par les filtres qui désintègrent le son. Priorité est faite au mouvement de la vie, avant tout. Ces douze morceaux ne sont donc jamais de simples illustrations de lieux : il ne s'agit pas de montrer des lieux mais de capter la vie qui s'y diffuse. Et donc, bien souvent, de ces lieux,
Secret Mommy ne retient que quelques sonorités nodales, le strict nécessaire : le glissement des patins sur la glace et quelques voix réverbérées de DJ (
Ice Rink), le son des déplacements sur les tatamis (
Dojo), le rebond du ballon sur le terrain (
Basketball Court), quelques éclaircissements de gorges avant de jouer (
Music Room). Ou même, des ambiances, sonorités à peine perceptibles mais qui semblent être là, et avec elles, le lieu dans son évidente présence (
Pool). Le son des mouvements ou des souffles, déplacements,
animation. Cela inséré dans une trame musicale séduisante, samples de violoncelles (
Basketball Court), glitches, rythmiques booty (
Tennis Court,
Basketball Court), petites improvisations mélodieuses à la guitare (
Dance Studio), sons saturés et notules orientalisantes (
Dojo), cut-ups joyeux (
Soccer Field,
Daycare,
Weight Room).
Notre homme s'en tire donc avec les honneurs, en évitant les pièges et clichés du
Field Recording et en proposant un album consistant dont la gaieté et la touche de folie douce devraient nous suivre longtemps.
Chroniqué par
Mathias
le 17/11/2005
