Guitariste affilié au crew
Ground Zero,
Tetuzi Akiyama traîne une solide réputation d’activiste expérimental-bruitiste, prompt à torturer guitare et autres instruments à cordes. On vous épargnera l’inévitable comparaison avec
Merzbow (puisque de toute manière, tout japonais fou a droit à sa comparaison avec
Merzbow, de
Shynia Tsukamoto à
Sachiko M en passant par
Taku Sugimoto) puisque ici,
Akiyama met quelque peu entre parenthèses la violence bruitiste au profit d’un disque solo, entièrement composé à la guitare acoustique, selon une esthétique moins-que-minimale, inframinimale dira-t-on pour le coup. On est loin ici de la violence d’un album comme
Relator.
Qu’à cela ne tienne, cette méditation solipsiste pour guitare, empruntant autant au blues et au folk de manière homéopathique (le passage d’un accord à l’autre, quelques notes jointes ensembles) qu’à
John Cage ou
Morton Feldman, développe de calmes climats, sournois pourtant et qui cachent une tension croissante du début à la fin. Confrontation entre la violence rentrée ici mais inhérente au jeu d’
Akiyama et la quiétude qu’il semble avoir élu pour un temps, entre la valeur méditative des notes isolées les unes des autres – ces notes qui sont avant tout présence sonore plus que syntagme d’un énoncé musical – et la grammaire qui tente à chaque instant de revenir pour lier les éléments entre eux, former des phrases, des embryons de mélodie, parfois même des harmonies, mais grammaire qui est toujours plus violente que ces notes primordiales détachées de tout. Dans la musique d’
Akiyama, la violence est comme l’horizon de l’élaboration, de la patience et de la pensée. De sorte que la résistance à cette grammaire qui tente de monter, de s’imposer, est aussi résistance à la violence sonore, résistance palpable dans la tension qui innerve ce disque, son écriture comme son interprétation.
On est donc loin, pour le coup, de l’esthétique de l’agression, du son envoyé frontalement à la face de l’auditeur qui prévaut chez
Ground Zéro : ce disque résonne au contraire comme un long acte de discipline mentale, quelque chose comme un sacerdoce ou un ermitage, une résistance face à soi-même. D’où la portée avant tout mentale d’un tel disque : la musique ici se loge autant dans les notes, phrases, ébauches de mélodies ou d’harmonies que dans les silences et dans les impondérables de l’interprétation, comme le volume auquel chaque note est jouée, les microscopiques trémolos que fait subir
Akiyama à ses cordes, autant d’éléments qui font appel aux seuils de perception de l’auditeur, dans une approche physique du son, forcément, mais qui pousse à appréhender ce son intérieurement, mentalement. Cette manière de jouer sur deux tableaux antagonistes et pourtant intimement mêlés ici (l’un est l’autre, pour ainsi dire) fait de
Tetuzi Akiyama, sans doute possible, un guitariste tout à fait singulier.
Chroniqué par
Mathias
le 15/11/2005