(...) Le long de ses 6 soirées polonaises,
The Vandermark 5 aura beaucoup servi
Roland Kirk et
Sonny Rollins. Chargeant la musique de l’énigmatique mutli-instrumentiste, d’abord, au pas d’un blues éléphantesque (
The Black and Crazy Blues), les musiciens optent ensuite pour un swing frais et goguenard, adressant des clins d’œil à
Bechet,
Don Byas et
Fats Waller, sans que cela ne les empêche de partir en vrilles sur une expérimentation aux gradations tonales dévalées (
Rip Rig And Panic Suite). La lumière du jour décline, et avec elle, les impressions de
Kirk passent de la nuit bleue (
Silverlization/Volunteered Slavery) au noir angoissant (
Inflated Tear).
A l’honneur,
Sonny Rollins, aussi. Du hard bop faisant la part belle aux échappées du saxophone de
Rempis (
The Bridge) à l’une des sources du free (
The Freedom Suite, Part 2), l’hommage est révérencieux et souple à la fois. Enfin, des sources aux bras du fleuve,
The Vandermark 5 rend
There Is The Bomb de
Don Cherry, brillance du trombone et ruptures de rythmes rivalisant d’intérêt, explore les splendeurs nouvellement révélées du
Conquistador, Part 2 de
Taylor, avant de s’essouffler un peu sur
Wherever June Bugs Go de
Shepp.
Saluant à propos les anciens,
Ken Vandermark se tourne aussi vers la jeune garde ; locale, qui plus est. Leur dernier soir de présence à Cracovie, le groupe tient à le passer avec des musiciens qu’ils n’auraient peut être pas rencontrés ailleurs. Le contrebassiste
Marcin Oles et le batteur
Bartlomiej Brat Oles prennent alors place sur la scène de l’Alchemia. Improvisant aux côtés de
Vandermark,
Bishop et
Rempis, ils s’imposent un retrait qui semble aller de soi - par exemple, devant l’assurance du trombone (
Free Jam 1) – avant d’introduire à deux, et avec brio, une
Free Jam 5 plus que convaincante. Pour terminer, les cinq musiciens interprètent deux standards de la New Thing :
Togo, d’
Ed Blackwell, et
Lonely Woman d’
Ornette Coleman. Les Etats-Unis et l’Europe saluent alors les mêmes références d’un Free Jazz qu’ils ont construit à deux : d’un pays où il est né, à un continent où il a été accueilli avec (un peu) plus d’attention.
Deux endroits du monde qui, l’un comme l’autre, semblent avoir oublié que le jazz a, de tout temps, été une musique d’avant-garde, jamais une musique de variété. Alors, on confond aimablement : la musique de
Charlie Parker effraye moins aujourd’hui – simple question d’habitude –, ce qui prouve que le jazz n’est pas affaire d’expérimentation ou de changements de cap. Or, on fustigea à l’époque les « cris » qui sortaient du saxophone de
Parker , comme on crachera sur la furie du hard bop, l’ambiance de clinique du cool, l'anti-jazz de
Dolphy avec
Coltrane, puis celui de
Coleman. Pour une seule raison : le changement opéré. Avec tout le respect dû aux jazzmen antérieurs, la nécessité de voir bouger les choses. De nos jours, presque pire : aux innovations et aux manières originales de penser le jazz de
Ken Vandermark,
William Parker,
Hamid Drake ou
Mats Gustaffson, l’enfumage est de rigueur : le jazz étouffé par des artistes de variété imposés, polluant un domaine inventif au lieu d’assumer leur choix de s’adonner à la variété. Pour couronner le tout, un dernier effet nocif : refusez de manger du Peter ou du Brad – nourriture indigeste, certes, mais surtout gênante parce que l’étiquette ment sur sa composition – et vous voici admis par le commun comme réactionnaire notoire, au mieux, faiseur de chapelle. C’est comme ça, les amateurs de "véritable" jazz rejettent la sélection que des maisons de disques qui ne savent pas de quoi elles parlent (ou font semblant) ont gentiment élaborée pour eux. Ayatollahs sévissant en souterrains, qu’ils restent entre eux, ces « fines bouches », et crèvent la faim avec ceux qu’ils écoutent.
Chroniqué par
Grisli
le 15/10/2005