Je n’aime pas la musique.
Je n’aime pas la musique, J’aime un disque et un disque et un disque, etc. Parfois même, j’aime moins qu’un disque, seulement un morceau de disque. J’aime un disque lorsqu’il est possible de l’entendre comme pressé comme une confidence. J’aime alors ce disque parce qu’il est possible de l’entendre loin des buzzs, loin des bizarreries de la mode, loin du business musical. Je n’aime pas la musique parce que la musique devrait toujours être confidentielle : entendue par des millions, soit, mais jamais dans cette atmosphère obscène où elle est donnée au plus grand nombre, innombrablement médiatisée, jusqu’à en altérer le sens. La musique devrait toujours être la confidence de ses interprètes, un essai de confier le secret de la musique à ceux qui l’écoutent. C’est ainsi que j’aime ce disque fait hors de toutes les règles de la bienséance contemporaine (le marketing).
J’aime ce
From cells of roughest air où, comme le veulent ses conceptrices, se rencontrent punk, folk et musique minimaliste. C’est un disque libre et insouciant, libéré du joug de la rentabilité, ce qui signifie, à proprement parler, que c’est un disque indépendant.
Becky Foon (violoncelle), Geneviève Heistek (alto) et Sophie Trudeau (violon) y démontrent, si besoin était, que la musique qu’elles contribuent à créer depuis des années au sein de
Mt. Zion,
Godspeed You ! Black Emperor,
Set Fire To Flames (etc.) n’est pas du rock auquel on aurait adjoint des instruments qui n’appartiennent pas traditionnellement aux formations du genre. Les cordes peuvent survivre seules, toutes seules même. De ce trio (
Sequences of a warm front) et de ces trois soli (
Low-pressure phenomena - alto ;
Thunderheads and radar - violoncelle ;
Line-squall - alto) se dégage une impression paradoxale : simultanément le déjà-entendu et le jamais-entendu. Déjà entendu parce que rien ne semble ici particulièrement neuf (on pourrait dire : “Ça sonne comme du Constellation”) et, jamais entendu parce que l’on n’a jamais entendu ça comme ça. On n’a jamais été à ce point saisi par la présence des cordes, leur matérialité.
Construit selon un certain principe d’équivalence similaire à celui qui était à l’œuvre dans les
Ghost Tracks de
neko,
From cells of roughest air est dédié à l’évocation des phénomènes atmosphériques, leurs perturbations, passages, accalmies, tourbillons. Musique du ciel qui offre aux
Ladies l’espace nécessaire à l’exposition de leur sensibilité : elles se sont données le temps d’exploiter leur talent pour délivrer quatre titres qui ne manqueront pas de marquer durablement leur auditoire.
Premier essai doublement réussi pour le groupe et son label.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 14/10/2005