Voilà une sortie qui détonne avec la ligne à laquelle
Rune Grammofon nous avait habitué, label dont le jusqu'au-boutisme expérimental lui a permis de se placer tout en haut des labels d'électronica et de musique improvisées à suivre. Point de l'esthétique minimaliste, digitale et boréale qui est le sceau du label norvégien, mais un album de pop synthétique pure et dure, de
norway pop sûrement, et même de
j-pop qui sonnerait comme du jazz rock, pour situer la chose. L'explication est simple :
Fra Lippo Lippi, c'est le groupe de
Rune Kristoffersen, le boss du label, qui en profite ici (et il fait bien) pour rééditer son projet de jeunesse. La chose surprend pour deux raisons : nous ne sommes plus du tout habitués à entendre de telles sonorités, et personne ne s'attendait à ce que
Rune Kristoffersen, au vu des signatures de son label, produise une telle musique. Il y a comme un abîme entre ses goûts supposés e la musique qu'il produit.
Il y a peut-être un romantisme en commun, romantisme eighties brut pour
Fra Lippo Lippi, romantisme réabsorbé, retravaillé, noir dans leur esprit "laborantin mystique" (esprit faustien, en quelque sorte) pour les sorties de
Rune Grammofon. La comparaison s'arrête là, si tant est qu'elle tienne la route une seconde.
Oublions donc la ringardise assumée du son (c'est le cas d'un bon nombre d'albums de l'époque et/ou du genre de toute manière) pour voir dans ce best of un bon album de jazz rock, dans la veine de
Weather Report ou
Return to Forever. C'est que ce disque, malgré ses sonorités qu'il faudra assumer sans honte, est aussi émouvant qu'un bon album eighties de
Quincy Jones (au hasard,
The Dude) ou qu'une BO d'un polar de Hong Kong de la même époque. Ce sera la seule chose à prendre en compte ici. Le reste n'est qu'affaire de mode, de temps qui passe, d'époques qui disparaissent au profit d'autres époques. Et le disque attaque fort, avec un
Shouldn't have to be like that et un
Angel qui devraient arracher des frissons à tous ceux qui acceptent encore le son eighties.
Question production et sonorités, on trouve ces incontournables voix baignées d'un léger écho, un peu diaphane, un peu blanche, ces basses slappées sans lesquelles un disque jazz rock ne serait jamais véritablement un disque jazz rock (
Angel,
Light and Shade), ses arpèges de synthé anachroniques (
Crazy Wisdom), ses guitares passées à la pédale wah wah et autres effets du meilleur goût (
Light and Shade), ses pianos qui ne reculent devant aucun pathos (
Beauty and Madness,
Coming Home), ses batteries binaires à souhait (
Naive, Everytime I see you,
Thief in Paradise). A cette instrumentation récurrente s'ajoute parfois une flûte (
Everybody Everywhere), un orgue pudique (
Leaving), un détail qui donne son élégance discrète à ces musiques réputées de mauvais goût que sont le jazz rock et la pop synthétique.
En ces temps d'hédonisme décomplexé, de post-modernisme nostalgique, cette ressortie s'avère tout à fait pertinente (sûrement bien davantage que tout un pan du revival eighties post-punk), puisqu'elle a le mérite de nous replonger la tête la première dans cette musique et son ambiance. Chaudement recommandé aux amateurs, à écouter d'abord pour les réfractaires, à connaître au moins pour les curieux et les historiens de la musique pop.
Chroniqué par
Mathias
le 30/09/2005