Le clip, genre casse-gueule. Pour les cinéphiles, il s'agit dans une large proportion d'un genre bâtard à vocation purement promotionnelle, synonyme de misère de la réflexion et de vacuité cinématographique absolue. Les mauvais films sont clipeux. Les clips sont clipeux. C'est donc avec gratitude que l'on aborde cette sélection qui ne se veut en aucun cas une compilation de clips, mais bel et bien un état des lieux, une collection à dimension prospective, un spicilège de films musicaux, ou, plutôt, de musique visuelle, au même titre que cette utopie du cinéma conçue par des cinéastes expérimentaux tels qu'Oskar Fischinger ou Harry Smith : faire de la musique à l'aide de photogrammes, une musique pour les yeux.
Bien sûr le clip a sa place sur cette compilation, mais en nombre réduit et finalement moins en tant que clip qu'en tant qu'essai de free cinema, en tant qu'œuvre plastique et musicale à part entière. Surtout, la plupart des films sont en fait de micro-récits ou des propositions formelles dont le déploiement nécessite une bande-son, qui n'est pas musique à proprement parler, mais qui a, par son dialogue avec l'image, valeur musicale. Le tout accouche, musicalement, de formats totalement libérés de ce qu'on a l'habitude d'entendre même parmi les musiques les plus improvisées, des formats, en quelques sorte, inédits, réellement déterminés par l'image. C'est particulièrement le cas pour
Tube Mice de
Dan Chambers, film d'animation en Flash qui emprunte au film noir (voir le Fritz Lang de
Ministry of Fear ou
Man Hunt pour les références, parmi d'autres) et dont la bande-son est en fait un flux continu de sons concrets participant du récit, de très courts passages musicaux, de bruitismes divers, dix minutes qui se donnent en fin de compte, comme une pièce musicale à proprement parler. Formellement et musicalement parlant, c'est probablement la contribution la plus intéressante de ce dvd. Avec moins de séduction dans leur récit mais autant de brio formel,
Drum Machine et
RND #00 Safety Procedures répondent également à cette conception de la musique visuelle.
Ailleurs, image et son travaillent main dans la main, se déterminent formellement l'un l'autre, ce qui m'autorise à affirmer qu'on tient là, réellement, une musique visuelle. Tout ne se vaut pas pourtant (
E-baby,
Fake ou
Fly ne sont guère réussis et sont trop tributaires de techniques de productions datées dont ils ne se sont pas libérés), et l'unité n'est pas de tous les instants, puisque ce DVD témoigne de la sélection du festival
OneDotZero. La diversité est donc de mise ; néanmoins, des directions et des lignes de force se dégagent : les contributions les plus intéressantes sont sans aucun doute celles qui abandonnent la 3D à présent rétro-futuriste au profit du rendu 2D ou Flash (
Tube Mice,
Drum Machine) ou des collages constructivistes et dadas : le clip de
Take Me Out de
Jonas Odell pour
Franz Ferdinand,
Polemia,
What Barry Says,
Baghdad Blog ou
Opto Scientific par
Designers Republic, et qui multiplie les références au cinéma des frères Whitney, notamment à
Yantra,
Lapis et
Permutations, ou encore l'excellent clip de
All Caps de
Madvillain, par
James Reitano. Ces six films, qui font cohabiter divers régimes d'images et de sons, multiplient les collages, les sources visuelles et sonores, les formes rythmiques et colorées, esquissent véritablement une direction unitaire et forte pour la musique visuelle à venir.
Chroniqué par
Mathias
le 19/09/2005