En réponse à
John Cage qui rêvait d'une musique qui ne se répétait jamais ni ne variait,
Morton Feldman conçut une musique qui se répétait et variait à l'infini. De ce double héritage,
Harold Budd et
Eraldo Bernocchi rêvent de paysages sonores musicaux à l'évolution infinitésimale et qui pourtant varient inexorablement, dérivent lentement, notes de piano au gré des machines.
Musique conçue pour une installation d'art contemporain de Petula Matolli intitulée
Fragments from the Inside, tout semble ici vouloir prendre l'auditeur dans son brouillard, dans son espace. Une musique qui, tandis qu'elle évolue lentement sur le fil du temps, s'étend peu à peu à l'atmosphère immédiate, puis aux espaces intérieurs, insinuent des déplacements de masses au sein d'un corps soudain ouvert, de plus en plus large. Les longs échos (
Fragment 2), les nappes au grain d'une netteté pour ainsi dire visuelle, les infrabasses (
Fragment 3) ; une géographie parcellaire se dessine, avec son nord, son sud, son est et son ouest, ses vides et ses reliefs, ses zones d'ombres et ses microclimats. Froids, voire polaires sans être ni morbides ni hostiles, sans non plus déployer les féeries boréales de
Biosphere, ces fragments d'aurore sont toujours crépusculaires.
La danse hiératique du piano et des machines crée de nouvelles conditions lumineuses. Des microclimats, donc, et une certaine idée de la musique
ambient.
Aux sonorités parfois datées des machines, et qui en quelque sorte emmènent l'auditeur dans un autre temps, répondent les chapelets minimalistes d'un piano d'une grande beauté, discret quand il n'est pas rare, et précieux (
Fragment 6), qui flotte entre
Satie,
Morton Feldman (
Triadic Melodies),
Philip Glass peut-être,
Brian Eno sans aucun doute.
Ce qui frappe particulièrement ici, c'est le dialogue à distance qui s'établit entre piano et électronique : jamais la machine ne s'empare de l'acoustique pour la retraiter. Les deux en une danse, éloignés l'un de l'autre dans leur infinie attention aux pas de l'autre, mais sans amour. D'où peut-être la tension sourde qui innerve ce disque, quasi impalpable, hostilité nouvelle entre des instruments complices un instant auparavant (
Fragment 3).
Musique qui privilégie un temps dilaté, une durée spatiale, l'auditeur peu disposé à l'égard de l'
ambient saura gré à ce disque de n'être ni invertébré ni trop arythmique, à l'exception du
Fragment 4 en son entrée. Rythmiques métronomiques ou déconstruites, la pulsation et l'hypnotisme ne sont pas oubliés. De quoi trouver des chemins suffisamment engageants pour attirer l'auditeur errant vers ce doux chant de sirènes.
Chroniqué par
Mathias
le 10/09/2005