Ne vous trompez pas à l'écoute des premières secondes d'
Absence. : il ne s'agit pas de spoken words, c'est bien du rap, c'est bien
Dälek (
Dälek pour le rap,
Oktopus à la prod',
Still aux platines), celui entendu avec
Techno Animal,
Faust et
Kid 606. Et la confirmation tombe assez vite sous la forme d'une instrumentation aux influences noisy rock, rêche et rude comme une pluie radioactive.
Le postulat : à monde malade, musique oppressante. Aussi attendez-vous à du bruit, sourd, lancinant comme une tumeur (le mur hurlant de
Distorted Prose), à des saturations pour tout leitmotiv en ponctuation des rimes amères, à de la tension électrique comme ligne rouge, des plaintes et larsens en guise de gimmicks, à des textures toujours sous pression. Plus radicaux dans cette démarche sonore que leur compatriote
Saul Williams qui prône aussi "l'indus-hop",
Dälek broie les idées brutes à son rythme implacable, sans précipitation, postillons ni figures inutiles, avec un flow constant et sûr comme une fumée noire continue.
La production fait le choix de ne pas mettre en avant la voix sans pour autant rendre les phrases inintelligibles, et les lyrics fournissent ainsi une lourde contribution à l'atmosphère sale et sombre, sans être particulièrement originaux dans le registre revendicatif. Quelques thèmes reviennent de façon obsessive : la préservation d'un certain hip-hop (
All I see are Minstrel MC's on these channels / Perceived battles only held to sell albums / Propagate stereotypes that bleed out us... ), le mensonge, et l'infériorité dans les faits (
How the fuck am I gonna shake your hand, when we never been seen as equals?). Ils ont néanmoins le mérite de chercher, comme le son, la confrontation directe, à l'image de ce couplet de
A beast caged :
Political prisoners terrorized in confinement / Confirms what we learned of US police state / Asphyxiate the people they claim to liberate / While you debate Democrat Republican...
Absence est un bloc, compact, opaque, intense, qui passe par l'exercice noisy pour redonner son énergie politique au rap. On ne respire pas beaucoup par ici, les morceaux se suivent et se ressemblent. Entre éclairs métalliques et samples raclants comme des mauvaises lames de fond, l'expérience d'écoute retrouve du sens : comme
Bomb Squad qui trouvait la formule sonique la plus frappante pour porter les dénonciations de
Public Enemy (en 2005 le contexte a changé, mais leur musique peu),
Dälek crée un concentré musical pour expier le milieu subi. Le rap doit interpeller et le groupe y parvient, en dépassant l'endroit où
Def Jux s'étaient arretés (
Culture for dollars,
Eyes to form shadows). Avec le risque de l'impasse inhérente aux tentations extrêmes,
Dälek produit une musique de malades pour un monde oppressant. Rien que pour cette tentative de redonner par la forme une valeur à ses avertissements, ce monolithe mérite l'écoute.
Chroniqué par
Guillaume
le 17/07/2005