Grime.Crunk.Electro hip-hop. Pour beaucoup ces termes évoquent le futur si bien qu'aujourd'hui il semble suicidaire de sortir un album aux sonorités old-school.
Dans ce cas, le meilleur album hip-hop de ce début d'année est un suicide.
Edan est un jeune blanc originaire de Boston élevé au rock (fan de
Hendrix) et au hip-hop des 80's (
Schooly D ou
Big Daddy Kane). Après s'être fait remarqué en 2002 avec un excellent album (
Primitive Plus), il enfonce le clou avec ce
Beauty And The Beat qui risque fort de squatter les playlistes quand sera venu l'heure de faire les bilans de cette année 2005.
À la fois DJ, MC et producteur (en bon adepte du "do it yourself"),
The Humble Magnificent comme il aime se faire appeler rend, sur cet album, clairement hommage aux musiques qui ont bercé son adolescence.
Ainsi, après avoir noyé des boucles de guitare sous des tonnes de reverb sur l'introductif et aérien
Polite Meeting, il s'adonne à un ping pong verbal avec son compère
Insight sur une rhythmique terriblement funky qui fleure bon les seventies (
Funky Voltron).
I See Colours est un titre hybride qui met en exergue le talent d'
Edan pour construire ses morceaux, comme ici où une voix samplée à la saveur "rock psychédélique" et une boucle de guitare cohabitent avec des nappes de Moog venues de l'espace.
Pour rendre hommage aux pionniers du hip-hop, il frappe fort en composant un hit instantané et dansant où le refrain semble chanté par des improbables Beatles sous acide (
Fumbling Over Words That Rhyme)... La trompette de
Murder Mystery illumine un peu ce morceau à l'ambiance sombre avant que les choses s'accélerent avec l'énorme
Torture Chamber. Sur ce titre,
Edan accueille le trop méconnu
Percee P (album à venir chez Stones Throw et produit bien évidemment par Madlib) et les deux Mc's s'en donnent à coeur joie sur une production étrange et malsaine.Leurs flows rapides et précis font ainsi merveille et rappellent les premières heures du hip-hop à l'époque où des gens comme
Kool G.Rap ou
Ultramagnetic Mc's alignaient les classiques.
Le rock des seventies transpire encore dans
Making Planets avec le génial
Mr.Lif. Après une première partie presque classique, le morceau se mue en une sorte de rap hippy clos par un solo de guitare à l'ancienne sur l'interlude de l'album (
Time Outt).
Il est encore question de six-cordes sur le bien nommé
Rock And Roll où
Edan énumère ses groupes de rock favoris sur fond de riffs bien lourds.
Beauty est peut être sur cet album le meilleur exemple de la capacité qu'a le bostonien de jouer avec les genres et les époques. Beatbox, flûte, violons et basse bien ronde se mélangent habilement pour aboutir à l'une des perles de cet album.
Insight refait son apparition et là encore le beat se fait plus funky avant de petit à petit se ralentir et devenir plus inquiètant (
The Science Of Two).
Le mélancolique et introspectif
Smile (hommage à Brian Wilson?) nous laisse entrevoir la fragilité d'
Edan avant que le bijou
Promised Land ne fasse son apparition.
Ce morceau résume à lui seul cet album: un flow résolument old-school associé à une orchestration magnifique (violon, hautbois) et une ambiance volontairement seventies (le sample de la voix finale).
Sur ce
Beauty And The Beat,
Edan ne se contente pas d'aligner les ambiances et les influences (notamment celle, omniprésente, du rock de son adolescence) mais il se les approprie pour créer son propre style, sa propre vision du hip-hop, une vision assurément rafraichissante pour l'auditeur.
Alors suicide? Non, coup de génie.
Chroniqué par
Tibo
le 01/07/2005