Le son a grossi, le songwriting s'est étoffé et c'est tant mieux.
Stéphane Laporte, qui affectionnait tant les vieux synthés analogiques, a mis plus de laptop dans sa musique pour proposer une sorte de version resserrée en pop subjectiviste de
Hello Spiral. Le son craque, crépite, et trébuche, comme à la fin de
Turquoise / Trotzdem. La douceur triste et la nonchalance lisse et dépouillée des synthés du premier album s'efface un peu au profit d'un son plus contemporain, davantage retraité et surtout beaucoup plus captivant. Tout ce disque repose sur un équilibre de tous les instants entre un songwriting pop et mélancolique déjà présent à l'état d'embryon sur
Bye Bye (l'album était une suite d'instrumentaux, tandis que le chant a fait ici son entrée sur la majorité des titres) et les techniques de production les plus en vogue. La rencontre s'avère des plus heureuses, le songwriting venant nourrir ce qui ne sera pas un énième laptop-album de plus, l'informatique venant habiller ces chansons tristes presque lénifiantes qu'on ne ferait peut-être pas l'effort d'écouter si le costume ne les rendait si attirantes, et donne naissance à un étrange mélange de désuétude naïve et de modernité sonique pointue.
Cette enfilade de fausses chansons pop et de vraies berceuses électroniques, une fois n'est pas coutume, multiplie les références pour mieux brouiller les pistes : l'introduction,
Meanwhile, in the woods, s'ouvre sur des chants d'oiseaux, se poursuit sur une boucle folâtre mêlée de voix et de sons concassés par informatique avant de pousser l'auditeur en plein dans la tristesse de la première chanson,
I Hate you for ever, sous l'invitation d'une voix faussement amicale et clownesque : "Let's go to the woods !" Première chanson qui résume à elle seule l'esprit de cet album et qui en est aussi une des plus belles réussites. Un petit motif synthétique se tresse doucement, se répète, s'engage dans quelques variations avant de laisser apparaître une voix monocorde utilisée comme une nappe de synthé qui se maintiendrait toujours dans le même accord mineur. Autour de ce noyau laptop-pop s'amassent des boucles psychédéliques déconstruites qui sont autant de surprises et de digressions à l'intérieur d'une structure parfaitement linéaire.
Ce dialogue entre la surprise et la linéarité, entre de lentes évolutions et des structures éclatées et imprévisibles fait le charme de cette musique mais peut également repousser : on aurait aimé moins d'intimisme, de demi-teinte et de nonchalance et davantage d'énergie, de ruptures, de fractures à l'intérieur du son et des morceaux, comme ce crescendo au milieu de
Turquoise / Trotzdem, que
Stéphane Laporte utilise davantage les possibilités du laptop pour magnifier davantage encore ses morceaux.
Ask For Tiger, malgré son originalité incontestable et sa maîtrise sans faille de références disparates - la pop, le folk, le rock psychédélique à cheval sur les 70's et les 90's (sur
Tonsil, on perçoit distinctement l'influence de
Grandaddy) et l'electronica la plus pointue se côtoient à l'intérieur de ce disque - est une expérience cénesthésique, aise et malaise à la fois.
On pourrait s'en sortir par une pirouette en affirmant qu'ici, tout est question de goût, et c'est pourtant le cas : on pourra apprécier et s'y laisser bercer comme trouver indigeste cette mélancolie permanente, ce choix de se tenir constamment dans un registre mineur, dans des tempi lents et des rythmes linéaires perforés ça et là de pilonnages informatiques et de faire toujours se côtoyer chansons pop et berceuses, de passer en glissant de l'une à l'autre, de camoufler les voix derrière un véritable mur du son, absorbées par une série d'effets et de filtres en tous genres, comme sur
Hugs & Kisses,
Not the movie you expected, ou
Captain Forest's word of advice. La musique de
Domotic est enthousiasmante par la justesse de sa formule mais sa tristesse lénitive a parfois raison de cet enthousiasme :
Ask For Tiger laisse une impression bizarre de beauté et de déprime dans laquelle tout le monde n'aura pas envie de s'engager. Mais un matin vague, cette électronica pop pourrait bien nous prendre par surprise dans ses riens de tout, coller à la peau et à l'âme, et nous attacher à la quête de ce tigre de chimère.
Merci à Will / Zetracker pour sa relecture
Chroniqué par
Mathias
le 19/06/2005