Délaissant quelque peu l’univers feutré et downtempo du premier opus
A Journey into abstract hip hop,
Yoann aka
Gasoline persévère dans une même veine cinématique mais cette fois plombée par l’urgence, la violence et la fuite qui rythme la nuit d’un gang poursuivi par d'autres gangs, après le meurtre d’un leader dans un New York sombre et vidé de toute humanité.
Cette histoire, c’est celle dépeinte dans le cultissime « Warriors » réalisé en 1979 par
Walter Hill dont les extraits émaillent cette bande sonore, du discours proclamé lors de la réunion dans le Bronx au début du film (
Introspection) à l’arrestation d’un des Warriors par la femme flic sur le banc d’un parc (
Interscope), de l’appel lancé pour ramener les membres du gang morts ou vifs (
The Score) au plaidoyer de la jeune femme sur son urgence de vivre vite et profiter de tout (
Getto Anthem), du duel de fin au dernier commentaire de l’animatrice radio …
Conviant indifféremment crews américain (
The Dojo Sound) ou français (
La Fondation,
Les Poètes Maudits), alternant phases rappées en anglais, français et espagnol ou convoquant un multi instrumentiste talentueux (aucun sample n’a été utilisé,
Aerodrink se chargeant des sections basses, guitares, claviers et cuivres),
Gasoline redonne des couleurs à un style trop souvent galvaudé. Les ambiances lourdes et sombres, portées par des productions léchées, évoluent au rythme des scratchs, riddims soul & funk ou inspirés par le style
Carpenter, auteur du non moins mythique « New York 1997 », souvent mis en parallèle avec le « Warriors » de
Hill. Dans les deux cas, les mêmes décors désolés, les mêmes guerres pour des territoires dévastés traduit en « imagerie sonore » avec luxe de détails.
Les thèmes, sombres et pesants, contrastent habilement avec l’aspect très organique, très vivant des productions, enrichissant ainsi le tout et évitant l’écueil des réalisations dénuées d’âme, bancales, ne tenant que par l’accumulation de samples, sans souci de pertinence ou de narration. On suit ici pas à pas chacune des étapes du film, la peur suinte, les rythmes s’accélèrent lors de chaque poursuite ou affrontement, l’urgence dicte sa loi :
Yoann a su s’imprégner des thématiques et des ambiances pour réécrire cette épopée nocturne, ne se contentant pas d’habiller les images mais cherchant au contraire à retraduire en musique un climat particulier, sombre et prégnant. Des textes ciselés (
Cara et
Jo l’Affront, déjà présents sur
A Journey …) aux scratchs dévastateurs (
Dj Troubl, impérial), chaque pièce du puzzle renforce ce sentiment de méfiance, de suspicion qui alimente en permanence l’album et lui confère cette teinte si particulière.
Trois ans après un premier voyage au cœur de l’univers des truands et de leurs règlements de comptes,
Gasoline rempile donc et parfait avec maestria sa première « ébauche » : le décor est planté, les acteurs sont prêts : « Can you count, suckers ? »
Chroniqué par
Oropher
le 03/05/2005