Depuis ses productions pour
TTC (
Ceci n'est pas un disque et
Bâtards sensibles),
L'Atelier (
Buffet des Anciens Elèves), et son
Beat Down EP,
Para One est l'un des producteurs français les plus en vue et les plus prometteurs du moment. C'est dire si tous les espoirs sont placés en lui. Autant donc le dire tout de suite : comparés à ses précédents coups de force,
Clubhoppn EP déçoit un peu de prime abord, surtout à côté de l'excellente Face A du
Beat Down EP, toute en circonvolutions électroniques déstructurées, mélodiques et mystérieuses. La Face B était déjà moins passionnante, dans ses velléités technoïdes et clubbesques un peu rebutantes et impersonnelles. C'est cette seconde formule qu'a choisi ici
Para One. Bizarrement, c'est quand il ne cherche pas à tout prix l'efficacité dansante qu'il se révèle le plus efficace, émotionnellement parlant.
Or
Clubhoppn EP, comme son titre semble l'indiquer, s'inscrit dans une optique "club", sans pour autant être un pur morceau danceable. Ici la syllabe "club" est plus sournoise qu'il n'y paraît. La voix de
La Télé l'après-midi donne le La : "J'aime bien baiser les vieilles pour leur argent. Les jeunes, j'aime leur faire l'amour, boire avec elles, danser… Surtout, j'aime lécher les jeunes. Les vieilles, qu'elles aillent se faire foutre !" Jeunisme et cunnilingus : c'est parti pour une tournée un brin ironique des clubs. Entre le morceau d'ouverture et
Clubhoppn, du temps semble s'écouler : après-midi et soirée, rêverie érotique, désir de danse et de jeunes filles, avant de donner une réalité à ces espoirs de club. De la même façon,
Clubhoppn EP demande du temps à son auditeur pour jouer cartes sur table. Sonorités moins subtiles que sur
Beat Down EP, plus âpres et discoïdes, évoquant un accouplement contre-nature d'
Autechre et de
Daft Punk, la formule a de quoi séduire sur le papier mais peine d'abord un peu à fonctionner pleinement sur la platine, parce qu'elle n'est pas immédiatement danceable.
Clubhoppn utilise la même formule et s'approche davantage du
Turtle Trouble du
Beat Down EP, avec ses beats disco-hip-hop, ses crescendos de clavier cheap et ses sons très IDM scratchés ajoutant une seconde rythmique en contrepoint du beat. Chaque son semble destiné au mouvement des hanches et du cerveau. Et pourtant, les deux ont besoin de s'accoutumer avant d'être touchés : il faut un peu de temps avant d'entrer dans les mélodies de
Clubhoppn, avant de dépasser les aspects "club" apparemment convenus pour s'apercevoir qu'ils créent en fait un rapport particulier entre le corps et le cerveau, entre l'auditeur et cette musique qui se désigne d'abord à lui comme une musique de club, qui en réalité est bien davantage et ne fait intervenir l'aspect
dance que dans un second temps seulement. Exercice club d'un genre particulier : on tient là un clubbisme cérébral, dont le but n'est pas de faire danser le corps
en même temps que le cerveau (crédo de l'
Intelligent Dance Music), mais de faire danser le corps
via le cerveau. Dans la musique de
Para One, le club semble toujours attendu, différé, rêvé,
espéré. Et l'émotion, un peu en retrait, également.
Inséré dans cette mini-narration, l'excellent
Severed God Limbs (et son instrumental) avec un featuring de
Busdriver. Ici
Para One fait mal, et frappe sans attendre : gros son, basses lourdes et saturées, mélodies 8-bit inquiétantes et tourmentées, flow torturé de
Busdriver, cut-ups de voix émergeant de nulle part. Le producteur et le MC virtuoses s'associent pour un morceau d'anthologie, où l'émotion du
Beat Down EP revient et ménage un curieux décalage avec le clubbisme cérébral du reste du EP.
Alors, bon disque ou pas ? Même si
Clubhoppn EP n'a pas la même force, la même évidence mélodique que les précédentes productions de Para One, il reste toute de même un disque de (très) haute tenue et enthousiasmant qui trompe l'auditeur pour mieux le surprendre et révèle une nouvelle facette musicale de son auteur. Gageons que le prochain effort de
Para One saura réunir et dépasser ses deux visages, et proposer un essai complet qui, pour le coup, mettra tout le monde d'accord, à tous les sens du terme.
Chroniqué par
Mathias
le 30/04/2005