Certains disques disposent une sorte de voile sur notre écoute, la mettant ainsi à l’abri de toute intervention extérieure. C’est leur légèreté, et non quelque accès de puissance sonore, qui, comme par un paradoxe, produit cet effet en isolant le corps écoutant, le laissant seul avec la musique.
Luminaires, le cinquième album de
Rome Buyce Night exprime en dix morceaux un tel paradoxe. Dix morceaux qui auraient tout aussi bien pu n’être qu’un, non à cause de leur identité ou de leur monotonie, mais parce qu’ils participent d’un même esprit, procédant par variations si fines qu’elles semblent parfois infimes.
Warp in/warp out, long de douze minutes, fait entendre ces caractéristiques de la musique de
Rome Buyce Night : une guitare déploie ses effets tantôt en nappes tantôt en grouillements tandis que la basse et la batterie, rappelant par moments
le fly pan am, transforme ce qui peut sembler n’avoir ni queue ni tête en une dynamique. La rythmique, donnant ainsi une direction à cette guitare bruitiste, produit une musique hypnotique d’où émergent quelques samples.
Rectifions peut-être, cependant : ces dix morceaux auraient pu n’être que deux puisque le dernier titre de
Luminaires, dépourvu de titre, comme s’il était rendu innommable par sa différence, tranche effectivement : un piano vient surplomber des sons qui n’hésitent pas à retarder ce silence qui vient, comme pour préserver encore quelques minutes de l’extérieur le corps écoutant.
Luminaires est, en quelque sorte, un album d’intérieur qui ne met pourtant pas le monde à distance, mais en laisse percevoir seulement l’image qu’en donne la musique. Un tel album s’écoute sans interruption afin d’en mieux percevoir les variations et la rupture et de le saisir dans toute sa subtilité et sa justesse.
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Luminaires, ainsi que toute la discographie de
Rome Buyce Night, peut être écouté gratuitement sur le site du groupe :
Rome Buyce Night]
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 24/04/2005