Les Grecs se posaient de drôles de questions. Par exemple, ils se demandaient à partir de quand un tas de sable cesse d’être un tas de sable. Si j’enlève un grain, le tas de sable est toujours un tas de sable. Mais, si j’en enlève un autre, et un autre, et un autre…à partir de combien de grains de sable enlevés, n’a-t-on plus un tas de sable ? Deux grains de sable, est-ce encore un tas de sable ?
Devant la prolifération actuelle des duos, je me suis posé une question similaire : deux musiciens, est-ce encore un groupe ? Peut-être n’est-ce pas en fonction du nombre de musiciens qu’il faudrait décider de la question, mais plutôt en fonction de l’énergie dégagée, de l’intensité de la musique. Selon ce type de critère,
Room 204 est assurément un groupe. Dès lors, le paradoxe est que, en faisant le pari de l’intimité, il parvienne à agiter la musique plus que si ses membres étaient dix.
Trans Panda est un disque jubilatoire, riche, qui tente constamment d’échapper à la linéarité et y réussit la plupart du temps.
Fire Bass en est un exemple : là où d’autres groupes auraient d’emblée posé la mélodie principale,
Room 204 choisit de ne la délivrer qu’après avoir tourné autour d’elle pendant près de deux minutes. Lorsqu’elle se fait entendre, c’est pour être aussitôt magnifiée dans une surdose de saturation accompagnée d’une batterie dont le seul but est de faire trembler la terre.
Si
Room 204 innove, à mon sens, ce n’est pas tant dans les harmonies ou les mélodies que dans la manière dont sont exploitées les possibilités ouvertes par des arrangements dont seul l’essentiel est conservé puisque l’on n’est plus que deux à faire de la musique.
Si la guitare indique souvent le chemin, la batterie (parfois soutenue par une basse :
Fire Bass et
Isospar) ne se contente pas de la suivre aveuglément. Contrairement à ce qui se passe bien souvent chez
The White Stripes, la batterie acquiert une fonction quasi-mélodique et non seulement rythmique. La conséquence est manifeste sur
Gaterade,
Picnic Panic ou encore
Panda League. Sur ce dernier titre, en effet, c’est elle qui imprime un mouvement au morceau, se faisant tour à tour roulante, déstructurée, rythmique, soliste.
C’est peut-être
Robanukah qui fait le mieux entendre la liberté de ce duo : derrière la violence évidente de certains riffs, les structures évoluent sans cesse — modifiant ainsi le sens de ce que l’on tenait pour violent — jusqu’à ce que l’impression première s’efface insensiblement, pour se faire entendre à nouveau, légèrement modifiée. L’impression première est donc rappelée à l’ordre dans l’écoute, mais elle ne peut plus être mobilisée telle quelle, l'ambiance ayant été modifiée.
Trans Panda est plein de ce genre de courses de désorientations, accessibles à qui voudra bien écouter.
Ainsi,
Room 204 est un groupe, au sens plein du terme, pas de doute. Mais, il y a plus : avec
Trans Panda,
Room 204 s’affirme comme un excellent groupe, ce qui est une nuance de taille.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 16/03/2005