On n’y croyait presque plus…
Blue Eyed in the Red Room, le nouvel album de
Boom Bip, sort enfin, après trois ans d’une attente que les collections de remixes et les aperçus de Peel Sessions ne seront jamais parvenus à combler. Pourtant, la première écoute démontre que cette période de flou fut une sorte de mal nécessaire, tant la musique de
Bryan Charles Hollon a gagné en profondeur et, pour employer le mot détesté par tout chroniqueur, en maturité.
Car là où
Seed to Sun tombait parfois dans une longue superposition de sonorités bucoliques,
Blue Eyed in the Red Room témoigne d’une plus grande maîtrise, conférant à la majorité des compositions une incontestable efficacité. Premier coup de maître dès l’ouverture syncopée de
The Move, sorte de croisement tout en montée entre les rythmiques d’
Autechre et les nappes de
Boards of Canada, dominé par un incroyable sens du groove et de la mélodie. Ici, les machines ne cessent de se mêler aux instruments, brouillant les pistes sans culpabilité aucune, comme sur la fin aérienne de
Do’s and Don’ts. On pense évidemment au
Jimmy Breeze part 1 de
cLOUDDEAD, sans pour autant bouder notre plaisir : devant une telle finesse de composition, difficile de s’emporter lorsque la ligne de basse de
Angel de
Massive Attack revient explicitement sur
Cimple, ou lorsque l’artiste revisite les sonorités acoustiques chères à son compatriote
The Album Leaf avec les accords de
One Eye Round the Warm Corner.
Cependant, sous couvert d’une diversité qui est sans conteste la qualité première de cet opus,
Boom Bip s’emmêle encore les pinceaux sur quelques titres. A force de vouloir à tout prix composer une musique hybride, ce dernier tombe encore dans le piège inhérent à l’expérimentation oblique, comme sur les clicks ambient de
Soft and Open. Pareil constat sur
Eyelashings, lorsque deux nappes se croisent au-dessus d’une ligne de clavier, créant un sentiment de lourdeur heureusement rattrapé sur les dernières secondes du morceau. De cette surenchère surgissent toutefois de petites perles, comme l'affolant
Aplomb, reprenant avec brio les expérimentations beckettienne du sublime
Circle, réalisé en compagnie de
Dose One.
Ultime témoin de l’audace du personnage,
The Matter invite
Nina Nastasia pour une ballade que n’aurait pas renié
Kevin Shields, concluant à merveille un
Blue Eyed in the Red Room dominé par l’errance constante de son créateur. En jouant sur les contradictions murmurées par
Gruff Rhys (
Do’s and Don’ts),
Boom Bip invite ainsi l’auditeur dans un univers malléable et délicieusement réservé, où l’introspection se profile derrière chaque mouvement, et toujours de manière différente. Certes, il est quelquefois difficile de suivre le personnage de bout en bout, mais des titres tels que
The Move ou
Aplomb élèvent sans le moindre doute ce second album de
Boom Bip au rang des grandes réussites du prolifique label Lex Records.
Chroniqué par
David Lamon
le 05/03/2005