Pour qu’un disque puisse donner une idée exacte de ce qu’est la radicalité, bien choisir les musiciens qui le concevront est indispensable. Dans le cas de
Saturn, Conjunct the Grand Canyon in a Sweet Embrace, le duo chargé du projet est d’une efficacité rare. De celles produites exclusivement par des facteurs solides : en l’occurrence, une histoire partagée et des aspirations esthétiques semblables, depuis toujours.
Figures imposantes de l’AACM,
Wadada Leo Smith et
Anthony Braxton avaient déjà évolués ensemble au sein du
Creative Construction Company. A deux, ils remettent au goût du jour les résolutions d’hier. Soit, ne rien sacrifier à la Simplicité vidée de sens qui, parce qu’elle assure aux musiciens médiocres le lot commun des réussites, fait de petits succès et d’auto-satisfaction injustifiée, ne passera jamais de mode.
Comme elle, le duo campe sur ses positions, dont il durcit toutefois le ton. De courses-poursuites en pauses nécessaires,
Composition N°.316 combine les accents orientalistes d’un bugle insatiable et les interventions dissonantes d’un saxophone décalé. Les silences mènent à la réflexion, qui opte bientôt pour la reprise des hostilités. Seul l’épuisement se montrera capable d’en sonner le glas, dans un souffle de
Smith.
Les évocations, elles non plus, ne peuvent cacher longtemps le goût de leurs auteurs pour les extrêmes. Ainsi, les gradations du saxophone sur
Saturn, Conjunct the Grand Canyon in a Sweet Embrace établissent des relevés topographiques extra-terrestres, tout en tâchant d’établir un répertoire exhaustif des diverses façons d’en parcourir l’entière surface. La trompette accentue encore les pentes abruptes tout en soutenant dans ses efforts l’avancée commune des instruments décidés.
Havre paisible,
Goshawk est un endroit où l’on peut enfin attester de ses blessures. L’improvisation, d’un calme rassurant, permet à
Wadada Leo Smith de révéler les accrocs glanés tout au long du parcours, tandis qu’
Anthony Braxton pose des atèles au moyen de nappes lumineuses. Si on se repose ici d’un autre vagabondage que celui qui promena
Max Roach et
Archie Shepp sur la Muraille de Chine, comme lui pourtant, on prouve que ce ne sont pas les plus beaux voyages, ni les plus beaux disques, que l’on trouve sur catalogues.
Chroniqué par
Grisli
le 28/02/2005