Combien de disques une subversion calculée, une attitude rebelle affichée a-t-elle fait vendre ?
On sait combien des revendications contestataires servent d'argument marketing de choix auprès d'une cible determinée. En conséquence, impossible de garantir la sincérité du combat de
Matthew Herbert, alias
Radioboy, pour le manifeste sonore
The Mechanics of Destruction. Pour défendre son disque et son engagement, voici une liste d'arguments (non-exhaustive), soumise à votre libre-arbitre :
-
The Mechanics of Destruction est un disque qui fut distribué gratuitement, encore disponible en libre téléchargement (argument un).
- Matthew tient ce type de discours : "Quand comprendra-t-on que prendre des cachets est illégal mais pas subversif ? Confondre ces deux notions, c'est ce que les dominants cherchent : que la jeunesse perchée se tienne tranquille pendant qu'ils font leurs conneries" (argument deux).
- La conviction personnelle du chroniqueur (argument deux et demi).
The Mechanics of Destruction est un manifeste DIY et engagé : avec pour seul vocabulaire des samples de produits Coca, Mc Donalds, Universal, Matthew applique son énergie créative à massacrer les symboles mercantiles et libéraux de la société de consommation pour en tirer un maximum de groove et de bruit. On s'aperçoit vite que ces contraintes apparentes dans le lexique musical deviennent paradoxalement un moteur à la créativité de
Matthew Herbert, d'autant que la discographie de celui-ci est familière de ce type de cahier des charges.
L'exercice de style donne des beats aux sonorités évidemment concrètes, mais surtout percutantes. Divers sons étonnants avivent l'attention, et malgré l'apparente aridité du format, l'ensemble des pistes est assez accessible. Même si la boucle et ses cycles restent l'essence du travail de Matthew, ses percussions, instinctives, gardent un vrai pouvoir d'accroche, celui du groove primal. Ainsi, le détournement d'un repas Big Mac offre tout de suite une variété de séquences impressionantes.
Les quinze titres sont autant de simples témoignages enregistrés d'une contre-consommation du produit "élu" malgré lui, ou plus souvent des réarrangements autour de cette idée. L'auditeur, plus ou moins désorienté, dérive au gré des tempos et des phases, entre métaphore lo-fi de productions "warpiennes" (le jeu sur le pitch des samples lui permet d'imiter les mélodies "bleepées" caractéristiques), plaisir de la sonance de l'objet et bruitisme au pouvoir cathartique où le geste destructeur s'inscrit dans toute sa dynamique brute dans le morceau.
Sur
Coca-cola par exemple, les snares bricolés s'affolent jusqu'à 180 BPM pour représenter "la culture accélérée d'aujourd'hui". Ailleurs,
Radioboy fait bugger le flow verbal d'
Henry Kissinger. Pour les 37 dollars par mois payés aux artisans par Nike, il utilise Air max et boite Addidas pour 37 secondes de musique très exactement. Pour le Rwanda, 8,5 secondes de silence, une par centaine de milliers de personnes tuées.
Un conseil : avant de crier à tout va votre dégoût de la société de consommation, vous pouvez suivre l'exemple d'intégrité de Matthew en saccageant allégremment tout ce que votre appartement peut contenir de valeur. Pour peu qu'un sampleur ai trainé à proximité, à vous ensuite le respect des mélomanes avertis, le coup de pub, un concert en partenariat avec le label Set (
Ivan Smagghe), et la chronique sur Infratunes...
Chroniqué par
Guillaume
le 01/10/2004