En l’espace de six albums et de nombreux maxis,
Squarepusher a su imposer dans le milieu bouillonnant de la musique électronique l’art de la controverse et de la surprise. Tantôt barrées, parfois jazzy et souvent orientées drum’n'bass, ses productions n’ont cessé de combler et de diviser un audimat hétérogène, attendant chaque nouvelle livraison du maître avec un sentiment dubitatif, naviguant entre la crainte et l’impatience.
C’est donc sans confidentialité aucune que
Warp a récemment annoncé la sortie officielle d’
Ultravisitor, faisant suite au très inégal
Do you know Squarepusher et sa reprise on ne peut plus critiquée de
Joy Division. Sans grande surprise, mais avec une efficacité bien réelle, les hostilités débutent sur un fond de basses lourdes et de breaks rapides, adroitement ornées de sons stridents et de longues nappes de synthé. Première claque, et premier changement de direction. En effet, la drum'n'bass sauvage et entraînante laisse rapidement sa place à la chaleur de la guitare acoustique et de la basse de
Squarepusher, qui s’aventure dans une suite de trois compositions ouvertement teintées de Jazz, dans la droite lignée de certains morceaux du classique
Music is Rotted One Note. L’ambiance se pose peu à peu, feutrée et lisse, sans être réellement désagréable mais tout de même étonnante. A ce moment précis, on se surprend à se demander si le producteur fou des Cornouailles s’est assagi, et a renoncé en l’espace d’un album à sa tendance à redéfinir les limites de l’atypisme.
Survient alors sans crier gare le claustrophobique
50 cycles, qui annonce une suite de pièces hautement cérébrales, poussant l’auditeur à puiser dans ses dernières ressources pour prétendre comprendre un tant soit peu l’avalanche se sons complexes qui parviennent jusqu’à à lui. A la manière des derniers travaux de son compère
Aphex Twin,
Squarepusher s’aventure au-delà des limites du monde digital existant, en programmant des véritables condensés d’expérimentations électroniques caractérisées par une hybridité démoniaque. A titre d’exemple, on peut citer l’usage de guitares électriques ultra-saturées sur les breaks véloces du déstabilisant
Steinbolt, et le recours irrégulier au clavier sur la longue strate de perceuse de
An Arched Pathway. Le résultat est certes époustouflant, mais l’épuisement ne tarde pas à gagner l’auditeur, qui a l’impression que
Squarepusher ne lui a jamais demandé autant, lorsque comme par enchantement apparaît l’ambient et très reposant
Circlewawe, parachute de soie annonciateur d’un retour progressif vers des horizons plus légères. C’est d’ailleurs sur ce sentiment d’apesanteur que s’achève
Ultravistor, après quatre-vingt minutes fortes en émotions tout aussi contradictoires que complémentaires.
Et c’est ce profond antagonisme qui semble caractériser au mieux le travail accompli par
Squarepusher sur son septième album, où cohabitent dans une exquise schizophrénie la complexité oppressante du programmeur et la douceur affirmée du musicien. Certes, le résultat final n’est de loin pas exempt de tout reproche, tant
Squarepusher, à force de chercher à tout prix la complexité, tombe parfois dans des extrêmes trop personnels pour être pleinement compris et intégrés par son auditeur. De plus, certains morceaux orientés electro-jazz pèchent par leur manque d’originalité, surtout si on considère le niveau atteint par cet exercice sur le classique
Music is Rotted One Note. Enfin, la cohabitation entre les deux univers décrits plus haut tend tout de même à fragmenter quelque peu le disque, qui s’écoute plus comme une longue synthèse laborantine que comme un album à part entière.
Ainsi, envers et contre toute référence stigmatisatrice,
Squarepusher semble toujours rechercher à travers son éclectisme la direction artistique qui lui permettra d’insuffler à ses travaux cette ultime touche de cohésion qui peut encore faire défaut à
Ultravisitor. Cependant, le septième album de ce producteur de génie marque un pas supplémentaire dans cette démarche, une sorte de rupture indiquant l’avènement d’un travail plus organique et annonciatrice d’un futur chef d’œuvre dans les années à venir. En attendant, il est hautement recommandé de se plonger de tout son âme dans les pièces complexes et envoûtantes de ce tout de même très bon
Ultravisitor.
Chroniqué par
David Lamon
le 01/04/2004