Brand New Second Hand, le premier opus du désormais reconnu
Roots Manuva, est avant tout le symbole d’une grande prétention pour le commun des amateurs de hip-hop. En effet, un MC anglais hébergé sur un label mieux connu pour ses expérimentations free-jazz (
Big Dada étant une subdivision de
Ninja Tune) éclipse en 1999 la plupart des grosses productions sortant outre-atlantique tout en se targuant d’être né en récupérant trois bouts de ficelle. Véritable pavé dans la mare, cet album se singularise avant tout par une noirceur et une profondeur rares émanant simultanément des productions et des lyrics de Mr Manuva, dont le flow à la fois posé et sautillant achève de sublimer l’auditeur le plus averti.
Cette impression s’impose d’entrée, avec le caverneux
Movements, atmosphérique à souhait et rappelant les meilleurs travaux de
DJ Krush. Cette parfaite introduction à l’univers de
Roots Manuva est pourtant coupée après quatre minutes par un beat rapide flirtant avec le raggamuffin, qui peut surprendre à la première écoute. C’est cependant cette rupture sèche qui caractérise au mieux le MC anglais, dont les origines jamaïcaines et la passion pour le hip-hop permettent de composer une musique hybride, surprenante et hautement éclectique. La patte
Ninja Tune est évidemment bien présente, notamment au travers des cuivres de l’excellent
Strange Behaviour, tout comme l’esprit dub transpirant sur le clavier omniprésent et les samples discrets de guitare de
Fever. Les rythmiques sèches et les scratches discrets contiennent quant à elles ces expérimentations dans un registre hip-hop très proche du downtempo.
Certes, ce métissage comporte quelques points faibles et de petites baisses de régimes, comme sur le très moyen
Wisdom Fall et le redondant
Baptism, mais le flow profond et maîtrisé de
Roots Manuva parvient à rattraper ces légères erreurs. Plus qu’un simple MC, ce dernier fait effectivement partie de ces rappeurs possédant le charisme des conteurs anciens, pour qui le respect ne cesse de grandir au fil des titres. L’effet est garanti : les yeux se ferment et les lumières se tamisent, l’auditeur s’enfonce un peu plus dans son canapé et dans ses rêves, l’intemporalité se confirme avec grâce… « I don’t wanna be, I am ! » Les phrases tapent justes et provoquent une réflexion reposante et jamais pénible, suscitant quelquefois l’espoir de ne pas voir le disque s’achever. Mais le voyage se termine en douceur grâce aux violons du magique
Motion 5000, qui amènent une nostalgie sucrée et pleinement justifiéé ; oui, le challenger Manuva a parfaitement réussi son coup, en marquant les esprits au beau milieu d’une année qui fut très riche pour le hip-hop indépendant.
Ainsi, au-delà des compliments et de reproches,
Brand New Second Hand brille par la capacité de créer une atmosphère englobante et singulière où il est toujours passionnant de se replonger le temps d’un après-midi pluvieux, avec la certitude de découvrir une facette supplémentaire du travail de
Roots Manuva. Sincère, authentique et toujours aussi fraîche, cette combinaison magique de flegme anglo-saxon et de vitalité jamaïcaine ne cesse de faire recette dans les enceintes des puristes. N’en déplaise à ceux qui ne jurent que par l’East-Coast ou la West-Coast…
Chroniqué par
David Lamon
le 07/03/2004