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Florilège musicopathe

: #27 : Mosaïque



Retour sur quelques albums marquants de ce premier semestre 2022 écoulé..

Porridge Radio Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky (Secretly Canadian)

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Ce quator britannique originaire de Brighton est à n'en pas douter l'un des nouveaux cœurs battants de la scène indie-rock de ces dernières années. Après avoir marqué les amateurs du genre avec leur second album Every Bad (2020) n'ayant hélas pas pu être défendu sur scène puisque sorti en pleine pandémie, la formation persiste et signe avec ce nouvel opus qui confirme tous les espoirs placés en elle. La voix écorchée vive de la chanteuse guitariste Dana Margolin emporte une fois de plus tout sur son passage et dresse les poils à chaque chanson en leur apportant un lyrisme à fleur de peau que d'aucuns compareront à la PJ Harvey des débuts. Mais la comparaison s'arrête là car Porridge Radio casse cette crudité du chant par des arrangements plus enveloppants et des claviers prédominants. Tout aussi inspiré, héroïque et brut de décoffrage que son prédécesseur, Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky est bien la bourrasque émotionnelle que l'on attendait de leur part, celle qui met tout le monde d'accord et qui inscrit nettement Porridge Radio dans les groupes de rock récents à suivre sans retenue.

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Party Dozen The Real Work (Grupo)

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L'un des albums instrumentaux les plus survitaminés de l'année sera certainement celui de Party Dozen, duo australien formé de la saxophoniste Kirsty Tickle et du percussioniste Jonathan Boulet. Accrochez-vous à votre perruque, The Real Work est un capharnaüm de sons distordus qui décoiffent et de mécaniques bien huilées conviant à la fête une multitude d'influences allant du jazz au punk hardcore en passant par le prog rock (la quasi floydienne Risky Behaviour clôturant le disque) ou encore le post-punk. C'est d'ailleurs un certain Nick Cave (lui c'était Birthday Party) qui vient prêter sa voix, la seule de l'album, sur la pétaradante Macca the Mutt. Loin de ce à quoi on peut parfois s'attendre pour un album de rock dit instrumental (on pense au post-rock voire au math-rock et toutes ses variantes déviantes), l'album tire sa force d'un certain esprit régressif c'est-à-dire d'un retour simple à l'efficacité d'un gros riff qui tâche ou d'une envolée psyché qui fait planer. Et c'est peu dire que ce déferlement d'énergie crasseuse, décomplexée pour ne pas dire "décomplexifiée" puisque souvent réduite à son plus simple appareil, fait un bien fou à entendre.

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Cate Le Bon Pompeii (Mexican Summer)

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Plus que son excellent prédécesseur Reward (2019) et plus encore que certains de ses albums collaboratifs (la pop lo-fi de son projet Drinks avec Tim Presley ou encore Myths 04 avec Bradford Cox de Deerhunter), le dernier cru de la galloise Cate Le BonCate Timothy de son vrai nom – est certainement la meilleure porte d'entrée pour découvrir l'univers de cette artiste singulière. Un univers qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui de l'américaine Julia Holter dont certains albums de pop baroque partagent avec Cate quelques atomes crochus. Ce qui marque d'emblée chez Cate Le Bon est sa voix : une voix mouvante, parfois dissonnante comme sur la chanson d'ouverture Dirt on the Bed, se dévoilant par des va-et-vient entre l'élégance d'un certain lyrisme et le phrasé d'une voix "parlée" soit son antagoniste direct puisque le chant se fait plus froid, comme vidé de toute substance mélodique. Les compositions de ce Pompeii sont quant à elles toutes aussi mouvantes que cette voix, baignant dans des nappes de synthés ondoyantes ou des guitares 70's et révélant in fine le songwriting impérial de cette grande dame de la pop.

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Huerco S. Plonk (Inciensio)

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Retour aux bases pour l'américain Huerco S alias Brian Leeds, pionnier de l'outsider house qui s'était fait connaître dès son excellent premier album Colonial Patterns en 2013, un premier jet electro en forme de coup de maître signé directement sur Software Records, le label de Daniel Lopatin (Oneohtrix Point Never). Après un détour vers l'ambient avec son magnifique album For Those Of You Who Have Never (And Also Those Who Have) en 2016 auquel on pourrait ajouter ceux de son side-project Pendant, Huerco S. revient à ses premières amours et nous livre un Plonk ("pinard" en anglais) qui est loin d'être de la piquette. On pourrait cependant reprocher à l'album une certaine incohérence puisque ce dernier se présente surtout comme un agglomérat disparate, presque compilatoire, des talents multiples de cet as de la bidouille électronique. En résulte toutefois une œuvre tentaculaire et protéïforme, certes un poil foutraque mais qui surprend à chaque morceau. De l'IDM glitché de son ouverture autechrienne en diable à sa longue plage atmosphérique finale, tout en passant par une poignée d'expérimentations qui font mouche, Plonk reste sans aucun doute l'une des sorties electronica marquantes de cette année.

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Emmanuelle Parrenin Targala, la maison qui n'en est pas une (Johnkôôl)

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Emmanuelle Parrenin est l'un des trésors cachés de la folk française, un trésor d'autant plus précieux que cette chanteuse se fait assez rare depuis son magnifique premier album solo Maison Rose en 1977. Et pour cause : après qu'un accident de voiture l'a rendu sourde en 1990, celle-ci se rééduque elle-même après les échecs de la médecine et retrouve progressivement l'oüie et le chemin de la création. Maison Rose arrivait miraculeusement à concilier d'une part les expérimentations instrumentales du terroir folklorique à base d'anciens instruments typiques (dulcimer, épinette, vielle à roue...) et d'autre part la folk bucolique anglosaxonne de chanteuses de l'époque telles que Linda Perhacs, Vashti Bunyan ou encore Sibylle Baier. De ce mélange inédit en forme de grand écart émergeait un pur enchantement musical que l'on retrouve aujourd'hui intact sur ce Targala, la maison qui n'en est pas une qui va toutefois chercher la magie du réenchantement ailleurs. Un ailleurs fantasmagorique et luxuriant, parfois orientalisant, qui emmène l'auditeur vers de nouveaux contes et de nouvelles contrées tout en conservant cette douce légèreté de la folk d'antan.

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Slagr Linde (Hubro)

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Cela fait longtemps que nous nous étions pas penché sur un album du label Hubro, label norvégien habritant tout un pan de la scène jazz et autres musiques improvisées de son pays. Hubro réserve d'ailleurs parfois quelques bonnes surprises s'écartant légèrement de sa ligne éditoriale pour effleurer d'autres types de musiques. C'est le cas de ce trio naviguant plutôt dans les eaux douces d'un certain néoclassicisme teinté du folklore scandinave. Portées par le violon Hardanger (une variante norvégienne de notre violon) de Anne Hytta, le violoncelle de Katrine Schiøtt et le vibraphone de Amund Sjølie Sveen, les compositions boisées de Slagr semblent être brassées par les vents d'une campagne d'un autre âge (Take ci-dessous qui aurait eu sa place dans la bande son de Barry Lyndon). Lors de ses accalmies ou dans ses moments de flottement (Glimmerskyer, Etterglod), la musique errante du trio évoque par instant la sensibilité profonde d'un groupe comme Rachel's. Linde reste quoiqu'il en soit un moment de grâce dont on aurait tort de se priver.

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Just Mustard Heart Under (Partisan)

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Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir. Just Mustard fait partie de cette mouvance neo cold wave s'enfonçant dans les bas fonds de cette musique sans lumière et donc sans chaleur issue du post-punk early 80's. Ce quintet irlandais se démarque cependant de certaines formations telles que Whispering Sons ou Lebanon Hanover grâce à la voix unique de sa chanteuse Katie Ball. Après Dana Margolin, Cate Le Bon et Emmanuelle Parrenin, disons que l'on boucle là un florilège notamment placé sous le signe de voix féminines remarquablement singulières, et singulièrement remarquables. Contrairement aux voix graves et d'outre-tombe des chanteuses des deux groupes sus-cités, Katie Ball possède une tessiture vocale quasi enfantine tranchant avec les instruments l'entourant (basse lourde, guitare grinçante et batterie déstructurée) et apportant à la palette sonore ombrageuse développée par le groupe ce léger faisceau de lumière qui rassure autant qu'il dérange. Quelque part entre Cranes et Joy Division avec une pincée de shoegaze et dream pop, ce second album de Just Mustard repousse les limites de son beau premier effort Wednesday (2018) et offre un territoire contrasté de forces contraires qui s'entrelacent et s'entrechoquent dans un tumulte de fin du monde. Noir c'est noir qu'on vous dit.

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Raum Daughter (Yellow Electric)

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Cheminement musical assez fascinant que celui de l'américaine Liz Harris qui, sous le nom Grouper, enrichit au fur et à mesure une œuvre souvent sur le fil prenant deux formes assez distinctes mais néanmoins séparées par une frontière de plus en plus mince. Il y a d'une part les albums de "chansons", ceux construits autour d'une folk épurée jusqu'à l'os et d'une dream pop aux confins de l'ineffable. Les chansons sont alors vaguement traversées par un piano ou une guitare, guidées par sa voix évanescente menaçant souvent de disparaître entre deux souffles. Puis il y a d'autre part les albums plus "expérimentaux" dans lesquels la compositrice tire sa musique vers plus d'abstraction comme ce fut le cas sur certains albums de Grouper (le diptyque A. I. A.) ou celui sorti sous le nom Nivhek. Le projet Raum fait partie de cette seconde famille et voit Liz Harris collaborer avec le compositeur Jefre-Cantu Ledesma afin de nous offrir rien de moins que l'un des plus beaux albums ambient de cette année. Un album aux projections parfois cinématographiques comme sur Revolving Doors avec ces bruits de pas et ces sons de cloches semblant s'échapper du Satantango de Bélà Tarr. Un album dont l'écoute se doit surtout d'être réalisée d'une traîte pour mieux en apprécier la logique onirique qui émane de ce requiem, de cette berceuse pour reprendre les mots des deux artistes présentant aussi l'album comme des "fragments de commencements (ou naissances / origines..) avec un sens profond de la perte". Daughter est un enchassement de rêves dans d'autres rêves, une expérience qui touche au sublime en proposant une esthétique de l'effacement et de la nature éphémère des éléments et des vies. L'album est justement un hommage à leur ami cinéaste disparu Paul Clipson, dont on peut entendre l'une de ses bobines défiler sur le morceau d'ouverture.



par Romain
le 30/07/2022

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