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Florilège musicopathe

: #20 : Pause



Florilège consacré à quelques belles sorties de ce mois de mars ou de ce début d'année histoire de continuer à se nourrir musicalement en ces premiers jours de confinement.

Ces premières journées de confinement rappellent à notre bon souvenir la phrase de Prévert : "on reconnait le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va". Dans mon cas pourtant, ce bonheur ne s'est pas pour autant enfui par les fenêtres de mon appartement de banlieue et reste lui aussi confiné avec moi, retenu par quelques occupations enrichissantes qu'une telle pause étendue sur la durée impose. Je compose dorénavant avec ce temps devenu statique pour mieux m'immerger dans des œuvres parfois colossales et (re)découvrir entre deux binge watching d'épisodes de The Wire une flopée d'artistes exigeants voire radicaux dont la musique intimidante demande soit une concentration aigüe, soit un lâcher-prise, en tous cas une certaine adaptation à un temps aussi alangui que les montres molles de Dalí. Si le voyage ne peut se faire à l'extérieur de chez soi, il se fera pour l'instant à l'intérieur du son. En cela, le summum fut certainement atteint avec l'album magistralement abyssal Miseri Lares (2014) de l'italien Valerio Tricoli, œuvre de fin du monde coincée entre les quatre murs d'une "maison misérable" ("miseri lares" en latin) et dont l'impressionnante sophistication tutoie les vieux maîtres de la musique concrète comme Bernard Parmegiani. Album ni d'humeur ni de circonstance puisque, derrière cette tragédie qui progresse dehors, ce n'est probablement pas à la fin du monde que nous assistons impuissants mais, espérons-le infiniment, à la dernière secousse d'un monde finissant dans l'attente de jours meilleurs.

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The Innocence Mission - See You Tomorrow (Bella Union)

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L'un des plus beaux disques de ce début d'année fut sans conteste celui de The Innocence Mission, groupe américain originaire de Pennsylvanie s'articulant autour de Karen et Don Perris, couple pratiquant autour du piano et de la guitare une folk épurée depuis plus de 30 ans contrairement à ce que la voix juvénile de Karen Perris laisserait penser. Soigneusement arrangé et profondément inspiré, See You Tomorrow offre deux ans après le magnifique Sun on the Square un cocon rappelant par sa douce mélancolie des artistes comme Mazzy Star, Joanna Newsom ou encore le Sufjan Stevens du vaporeux Carrie & Lowell. C'est d'ailleurs par le biais de ce dernier que le groupe s'est tardivement fait connaître par chez nous. Si l'album disperse dans l'atmosphère une collection miraculeuse de berceuses cristallines et évanescentes, il est aussi creusé par une certaine gravité lui conférant une pesanteur particulière. Une merveille.

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The Necks - Three (ReR Megacorp)

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Trois. Trois musiciens et improvisateurs énormément talentueux qui, depuis trois décennies, livrent des œuvres hors-norme difficilement identifiables car brouillant les pistes entre le jazz, la musique contemporaine et la modernité sous toute ses coutures. Trois. Trois nouvelles compositions pour un album fonctionnant plus par blocs distincts (quand bien même leur précédente œuvre Body fonctionnait aussi comme ça) et que l'on rangera du coup aux côtés de Chemist (2006) et surtout Mindset (2011) pour ses deux premiers tiers. Trois. Trois manières d'organiser ses instruments, de les faire circuler soit dans le chaos (Bloom) soit dans un calme anxiogène (Lovelock), ou de les envoyer à la recherche d'une plénitude groovy (Further, ci-dessous). Trois manières aussi d'atteindre une certaine forme de transcendance via le jeu quasi hypnotique de la répétition et des variations, un don de pouvoir suspendre le temps ayant donné au dernier album de Swans ses plus beaux morceaux (Leaving Meaning) et continuant d'inscrire les australiens de The Necks parmi les architectes sonores les plus singuliers de notre temps.

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Saåad & Siavash Amini - All Lanes of Lilac Evening (Opal Tapes)

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Saåad est un duo toulousain (devenu depuis 2 ans le projet solo de Romain Barbot) arpentant depuis une décennie maintenant les territoires rugueux du dark ambient avec une maestria notoire. Leurs projets reposent souvent sur des idées conceptuelles flirtant avec le field recording dans cette façon de travailler à chaque album un environnement sonore particulier (la rivière sombre de Confluences en 2012, l'orgue du magnifique Verdaillon en 2016...) et en extirper une beauté purement crépusculaire. Cette dernière œuvre née de la rencontre entre Romain Barbot et le musicien électronique iranien Siavash Amini consiste principalement en une plongée sensorielle dans les profondeurs d'un modern classical ample et pointilleux. Entre réminiscences autechriennes sur A Vision Without Contours (ci-dessous) et drones scintillants évoquant entre autres l'univers de Tim Hecker (Disruptive Emptiness), All Lanes of Lilac Evening est une réussite totale.

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The Proper Ornaments - Mission Bells (Tapete)

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Voilà quelques années déjà que les quatre londoniens de The Proper Ornaments trimballent leurs dégaines faussement désabusées de dandy afin de nous offrir de petits bijoux d'indie pop (six en comptant celui-ci) dans une légère indifférence. A l'instar du dernier album de Real Estate sorti récemment, Mission Bells ne bousculera en rien les habitudes du genre mais nous cueillera volontiers en s'inscrivant dans la filiation de ces disques possédant la force tranquille d'un songwriting 60's finement ciselé et clairement séduisant (Downtown ci-dessous et son clip récupérant les images du fameux court-métrage de 1976 C'était un rendez-vous de Claude Lelouch). Entre mélancolie beatlesienne et psychédélisme délicat (Strings Around Your Head et sa fin planante), les britaniques vont également puiser dans des influences plus américaines comme l'alt country (Echoes et ses slides de guitare n'est pas sans rappeler Wilco). Vivement le prochain.

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Jacaszek - Music for Film (Ghostly International)

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Il n'est pas si étonnant d'apprendre que Jacaszek, artiste polonais reconnu dans le milieu modern classical et auteur de quelques grands disques dont le sublime Treny (Miasmah, 2008), livre aujourd'hui une collection de pièces destinées à quelques œuvres cinématographiques. Quelques compositeurs talentueux et finalement pas si éloignés de lui ont en effet déjà prouvé la pertinence de ce genre immersif dans l'accompagnement de certains films : Max Richter ou encore John Tavener et son bouleversant score pour le non moins bouleversant Children of Men d'Alfonso Cuaron, score autour duquel plane le spectre du gigantesque Henryk Górecki, polonais lui aussi mais je m'égare. Avec Music for Film, nouveau diamant noir d'une discographie bien fournie, Jacaszek s'en sort parfaitement et continue de manier son art subtil de la manipulation électro-acoustique au service de projections imaginaires qui ne sont cette fois-ci pas les siennes.

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Stephen Malkmus - Traditional Techniques (Matador)

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L'ancien frontman de Pavement n'a cessé de prouver que derrière le slacker négligé se cache sinon un songwriter hors-pair du moins une valeur sûre de l'indie rock américain. En témoigne vingt ans d'une carrière exemplaire jalonnée de nombreuses pépites avec sa nouvelle bande The Jicks jusqu'à l'excellent Sparkle Hard dont je vantais les mérites il y a 2 ans. Après une tentative solo désarçonnante d'electro-rock-new-wave bizaroïde avec l'inégal Groove Denied l'année dernière, Stephen Malkmus poursuit son escapade récréative sans ses Jicks mais cette fois accompagné de quelques acolytes comme le guitariste Matt Sweeney et Chris Funk de The Decemberists et nous offre un album acoustique savoureux dans la pure tradition psyché-folk des seventies comprenant quelques sommets d'écriture limpide (The Greatest Own in Legal History ci-dessous et tant d'autres).

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Windy & Carl - Allegiance and Conviction (Kranky)

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Duo originaire du Michigan signé notamment chez Kranky et ayant hissé une sorte de dream pop à la Cocteau Twins vers des dimensions insoupçonnées via de nombreux albums plus ou moins imposants flirtant avec l'ambient, Windy & Carl revient 8 ans après son sommet We Will Always Be alors même que l'on pensait le groupe disparu à tout jamais. Il faut dire que leur musique à base de guitares et de basses enveloppantes possède une certaine esthétique de l'effacement que cette précédente œuvre emmenait dans une forme d'absolu difficilement dépassable. Le nouvel album de la formation est certes plus contenu (6 morceaux pour moins de 40 minutes) mais se présente une fois de plus comme un disque essentiel de shoegaze somnambule. Allegiance and Conviction est une plongée onirique bercée par les susurrements de Windy Weber, un glissement vers le vide cosmique d'une nuit étoilée, étrange et inquiétante. Avec Windy & Carl, le terme dream pop n'aura jamais aussi bien porté son nom.



par Romain
le 25/03/2020

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