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Florilège musicopathe

: #18 : Les restes de 2019 (partie 1)



Quand il n'y en a plus, il y en a encore.. Retour sur quelques disques forts de 2019 avant d'entamer la nouvelle les oreilles aux aguets ..

(Sandy) Alex G – House of Sugar (Domino)

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Voilà un album qu’il fait bon réécouter en cette période de fêtes de fin d’année, entre deux playlists de chants de Noël. Alex Giannascoli a beau être un important représentant de la scène folk rock américaine, d’ordinaire habituée à un certain académisme acoustique, ce House of Sugar n’est pas pour autant exempt de quelques fantaisies. Sa pochette à la Holiday on Ice et son titre, évocateur de la maison en pain d’épice des frères Grimm, constituent, avec les étranges harmonies du morceau d’ouverture Walk Away, les premiers indices de cette prise de liberté. Certes, passée cette légère digression, l’oeuvre embraye rapidement sur des sonorités plus classiques – comme sur le très americana Southern Sky – mais les incursions expérimentales ne tarderont pas à poindre de nouveau. D’abord avec une intro et outro dignes des Chipmunks sur le bien nommé Gretel (ci-dessous), tube évident de ce disque, puis sur les obsédants et quasi électroniques Project 2, Near et Sugar. Ces derniers se voient franchir un échelon supplémentaire dans le travestissement vocal – tantôt abyssal comme du Fever Ray, tantôt alien sous hélium –, au-delà de ses limites humaines. Comme un conte rempli de lutins facétieux, le surréalisme s’invite dans ce House of Sugar de manière quasi imperceptible, offrant à l’auditeur de multiples grilles de lecture, appréciables dans autant de contextes ou états d’humeur.

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Bon Iver – i,i (Jagjaguwar)

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Qui aurait pu penser à la sortie de son premier effort, le dépouillé For Emma, Forever Ago, que Justin Vernon allait être, 12 ans plus tard, à l’avant-garde de l’exploration sonore ? En quatre albums, présentés par l’artiste comme le cycle des saisons, la musique du leader de Bon Iver est progressivement passée d’un folk intimiste et mélancolique, composé dans le froid de son Wisconsin natal, à d’expansifs patchworks orchestraux et électroniques (l’estival 22, A Million), s’épanouissant comme une luxuriante forêt qui reprendrait peu à peu ses couleurs au sortir de l’hiver. Avec i,i, la boucle est désormais bouclée. Si le disque reprend là où son prédécesseur s’était arrêté, dans un même futurisme pastoral fait de symboles cryptés (les titres énigmatiques des deux tracklists), le tout se présente sous des atours plus pop et faciles d’accès, délaissant notamment les quelques déflagrations sonores et autres effets vocodés à la Kanye West qui en parsemaient l’écoute. Malgré un retour amorcé vers l’émotivité épurée des débuts, i,i reste, pour notre plus grand bonheur, épris de ces souffles épiques. Toujours perceptibles dans la grandiloquence du chant, ils font notamment de Naeem et Hey, Ma (ci-dessous), des singles (quasi) instantanément entêtants, dont on pourra difficilement s’empêcher de scander les refrains. Maintenant que « l’automne » est passé, on a hâte de voir ce que nous réserve Bon Iver pour sa nouvelle année…

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Brittany Howard – Jaime (Columbia)

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Les musiques afro-américaines – nu soul, RnB et hip-hop en tête –, par leur récent penchant pour les concept-albums et une cohérence ambitieuse entre songwriting et production (SZA, Blood Orange, Solange…), furent sans doute la grande famille musicale à nous avoir offert le plus de monuments durant cette décennie. Brittany Howard, échappée pour la première fois de son groupe à succès Alabama Shakes, aura sublimement conclu cette prolifique épopée en délaissant son fulgurant blues-rock pour une entreprise plus introspective. Le titre lui-même est révélateur. Dédié à sa soeur, décédée d’un cancer des yeux dont la chanteuse a elle-même souffert, Jaime n’aborde pas directement ce pan douloureux de sa vie privée, mais son aura en reste indubitablement infusée. Un hommage d’autant plus significatif que c’est grâce à sa soeur aînée que Brittany, enfant, a appris à jouer et composer. Exit les riffs de guitare et les débordements rock’n ‘roll de sa bande : ici, la force réside en d’autres subterfuges, moins évidents mais tout aussi efficaces. Les sommets He Loves Me et Georgia impressionnent par leur propension à allier l’enveloppant – ce superbe timbre de voix, étrangement ressemblant au falsetto de Moses Sumney – au percutant, avec une batterie brillamment mise en avant. On pense aussi régulièrement aux riches instrumentations de D’Angelo, même dans sa période la plus lover (le sexy Baby), ou à d’autres contemporains du même « bord ». Si l’on ne s’attendait pas à voir la leadeuse d’Alabama Shakes s’aventurer en ces contrées, il sera désormais difficile d’imaginer l’avenir de la soul sans elle.

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Deerhunter – Why hasn’t everything already disappeared ? (4AD)

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Leur dernier disque en date Fading Frontier, bien que toujours de très bonne facture, avait à sa sortie, légèrement souffert de la comparaison avec leur parcours (sans faute) entrepris de 2007 à 2013 – cinq LP et 2 EP impeccables qui avaient fait de Deerhunter l’un des rares groupes de rock à encore proposer en cette décennie quelque chose de véritablement neuf et excitant. Why Hasn’t Everything Already Disappeared n’aura sans doute pas signé leur grand retour mais aura eu le mérite de renouer quelque peu avec la passion des débuts. Tout en poursuivant dans la direction plus pop de son aîné, entre americana baroudeuse (No One’s Sleeping) et délicats tintements aquatiques (le superbe What Happens to People, un des sommets du disque), ce nouveau chapitre produit par Cate Le Bon retrouve surtout un peu de la niaque qui avait été perdue en chemin, après le garage et tonitruant Monomania. On en veut pour preuve Element, et son entêtante cadence, qui nous replongeraient presque dans les rythmiques appuyées du merveilleux T.H.M. Un choix d’autant plus impactant qu’il s’oppose, au fil de ces dix pistes, à un spleen et des réflexions désabusées sur l’évolution des sociétés humaines. Un Deerhunter (pour ne pas dire Bradford) certes plus pop, mais semble-t-il, toujours aussi torturé.

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Kevin Abstract – Arizona Baby (Question Eveything, INC)

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Les deux derniers projets de sa bande Brockhampton nous auront laissés un peu sur notre faim. Entre un Iridescence dont le côté expérimental flirtait par moments avec le barbant, et un récent Ginger, au contraire trop lisse pour réellement convaincre, le collectif de hip-hop texan n’est pas encore parvenu à réaliser son oeuvre « définitive », que les très prometteurs volumes II et III de la fameuse trilogie Saturation nous avaient tant fait espérer. Autant être clair, ce n’est pas non plus dans ce Arizona Baby, un peu trop inégal, qu’il faudra aller la chercher. Pris pour ce qu’il est – un disque rafraîchissant, facile d’écoute, à l’image du single Baby Boy (ci-dessous) –, ce nouvel album solo du leader de Brockhampton est en revanche pleinement satisfaisant, et nous offre même, avec les soulful Georgia et Mississippi, deux de leurs titres les plus réussis de ces deux dernières années. Le second, en particulier, captive par sa manière d’aborder l’entrain par la douceur, ricochant de couplets élégamment autotunés en beats « clapotis », aussi délicieusement mixés qu’un murmure ASMR. Se pourrait-il que le coup de maître tant attendu se produise finalement en solo ? Car après tout, si la carrière de Kevin semble plus discrète que celle de son (très hype) groupe, le rappeur a su démontrer tout son talent dès sa première mixtape (l’excellente 1987MTV), bien avant la percée de Saturation. Et la touchante honnêteté employée sur ses récentes productions (les révélations sur son « American Boyfriend ») nous fait penser que, comme pour Tyler, The Creator, le meilleur reste probablement à venir...

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Kaytranada – Bubba (RCA)

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On n’aura eu peu de temps pour écouter le nouveau Kaytranada, sorti le 13 décembre, alors que toute la presse musicale avait déjà publié ses habituels tops de fin d’année. Mais il ne nous aura pas fallu beaucoup plus d’une ou deux écoutes pour être d’emblée emballés par l’irrésistible mélange de hip-hop et de house funky de ce Bubba, dont certains des plus gros bangers (2 The Music et la claque Go DJ), placés en début de tracklist, attirent sans effort l’oreille dès les premières minutes. Difficile ensuite de maintenir un tel rythme durant 17 pistes – ce qu’il ne cherche finalement pas à faire – mais Kaytranada s’en sort admirablement bien, préférant adoucir la première armada de beats percussifs et de flows incandescents sous ses crépitements et basses de velours ; quelque part entre un Four Tet cotonneux et un exotisme rétro-futuriste à la Lone. Parfois, ces boucles peuvent tourner – et c’est le cas de le dire – légèrement en rond (10 % avec Kali Uchis). A d’autres moments, bien plus récurrents heureusement (Taste, Culture...), elles sont au contraire un moyen salutaire de redonner à l’oeuvre un second souffle en enrichissant son écoute prolongée. Malgré sa date de parution, Bubba n’est pas qu’un simple disque à sortir sur le dancefloor à sa soirée de nouvel an, puis à laisser prendre la poussière le reste de l’année. Passée sa flamboyante (mais éprouvante) entrée en matière, il offre tout un tas de bonnes raisons de lui faire une petite place en de plus calmes circonstances.



par Gil
le 04/01/2020

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