Le 29 juillet, au Brixton Electric de Londres, The Orb célébrait les 25 ans de son double album The Orb's Adventures beyond The Ultraworld (TOABTU) par un concert réunissant tous les membres de la formation originelle. Tous ? Non. Mais c'est une question sur laquelle nous reviendrons.
Tout commence par un prologue mixé, un peu trop long, qui voit Alex Paterson et Thomas Fehlmann se succéder aux platines et passer toutes sortes de choses : des collages sonores, de la techno, et même – surprise – un vieux morceau de Sun Electric, Qualia, dont la puissance d'envoûtement se révèle intacte. Au fil de ce ping-pong sous-marin, l'impatience des fans grandit tandis que les derniers recoins de la grande salle du Brixton Electric se comblent.
C'est l'occasion d'apprécier la scénographie et les jeux de lumières : une contrebasse blanche occupe le devant de la scène, et laisse espérer que la basse de Spanish Castles in Space sera jouée live ; elle est flanquée d'une batterie acoustique (heureusement pour le batteur que le tempo moyen de l'album avoisine les 115 BPM) ; deux claviers drapés sont placés derrière, puis une table chargée de MacBooks et de CDJ barre le fond ; côté cour, quelques racks de synthés sont montés sur une structure tubulaire ; une paire d'assiettes de réception satellite encadre mystérieusement l'ensemble, et enfin un écran géant s'étale au fond.
On attend.
Pendant près de deux heures, Alex et Thomas eux-mêmes ont l'air de se casser les pieds à mixer.
Enfin, le concert commence. Youth (Martin Glover, ex-bassiste de Killing Joke) entre sur scène avec aisance, s'empare de la contrebasse sous les applaudissements et commence en effet à jouer la basse ample et lente de Spanish Castles in Space – qui était pourtant, au départ, composée à partir de samples, mais peu importe. Manifestement, les balances ont été mal faites, ou bien l'acoustique de la salle est mauvaise : on n'entend pratiquement QUE le grondement de la basse, qui occulte complètement le sample de piano du Spartacus de Bill Evans et la description en russe des poissons électriques. Le morceau le plus beau et mélancolique de l'album est donc à peu près inaudible.
On comprend toutefois au passage que le concert se terminera probablement par 'Little Fluffy Clouds', qui reste le morceau le plus connu du groupe, et qui ouvre l'album. En attendant, les deux morceaux qui suivent sont ceux qu'ont signés Miquette Giraudy et Steve Hillage (alias System 7). La salle se dandine d'abord quand résonne le break fabuleux de Melvin Bliss, qui ramène à la terre ferme les astronautes de 'Supernova at the End of the Universe'.
Le mixage est bien meilleur : les ingés son ont dû revenir du bar.
Puis le groupe joue 'Back Side of the Moon", qui est principalement une version sans beat du précédent, avec plus de nappes de Korg M1, et surtout avec la guitare chargée d'effets de Steve Hillage.
Suit 'Outlands', écrit par Thomas Fehlmann, qui n'était à l'époque qu'un des nombreux membres de l'aéronef The Orb, et pas encore son copilote. Resté seul sur scène avec Alex Paterson, Fehlmann joue un morceau très proche de la version enregistrée sur l'album.
Puis Miquette Giraudy, Youth et le batteur des Sex Pistols reviennent peu après pour jouer le seul morceau un peu dancefloor de TOABTU, 'Perpetual Dawn'. Cette galéjade reggae-dub est ici jouée dans l'esprit "sound-system" du mix de Youth, c'est-à-dire avec des samples de MC éparpillés partout, et Youth qui piétine en rythme à travers la scène avec sa basse à la main, et sur la tête une visière blanche et des dreadlocks en bataille.
'Into the Fourth Dimension', qui arrive ensuite, témoigne à nouveau du talent de Paterson pour les collages sonores – et de l'inspiration d'Andy Falconer. Mais cette fois, le 'Miserere' d'Allegri et le beat syncopé du morceau prennent un tour un peu étrange devant ce public de geeks dégarnis, qui finit par lever les bras au ciel avec émotion quand arrivent le climax et ses accords de piano. Entretemps, Daniele Gaudi est arrivé sur scène en guest star avec son Theremine, dont il tire des sifflements étonnants à grands moulinets de bras.
Le très beau 'Stars 6,7,8,9' arrive ensuite, avec Andy Falconer sur l'un des claviers. Puis lorsque s'élève la célèbre boucle de synthé Oberheim qui constitue la colonne vertébrale (sinueuse) de 'A Huge Ever Growing Pulsating Brain…', on espère secrètement qu'il s'agit d'une version proche de l'Orbital Dance Mix, qui retournera à coup sûr toute la salle – et que l'on entend avec plaisir au début du film Eden, de Mia Hansen-Løve. Mais le choix de The Orb est cohérent vis-à-vis de l'album TOABTU : on reste à la version sans beat. D'ailleurs, celle-ci est sans doute plus fidèle aux sessions d'improvisations dominicales menées vers 1990 au studio Trancentral par Alex Paterson et Jimmy Cauty, de The KLF. Difficile de dire qui a composé quoi dans ce morceau, du reste : la période Trancentral semble avoir constitué une sorte de soupe primordiale (relevée au LSD) d'où sont sortis aussi bien les morceaux de stadium house de The KLF que les albums Space et Chill Out. Quels que soient les noms figurant sur les disques, tous portent à la fois la patte d'Alex Paterson et celle de Jimmy Cauty.
C'est bien évidemment 'Little Fluffy Clouds' qui clôt le show. Que dire sur ce morceau, sinon qu'il marque un tournant dans l'histoire de la musique électronique ? Son utilisation intensive et innovante des samples en a fait l'objet d'une des premières grandes batailles juridiques liées au sample clearing, c'est-à-dire à la déclaration des échantillons auprès de leurs auteurs légitimes. Et en la matière, The Orb ne semble pas s'être encombré de cas de conscience : Steve Reich (pour la boucle de guitare de Pat Metheny), Ennio Morricone, Ricky Lee Jones (pour le soliloque sur les nuages), Harry Nilsson (pour la batterie) sont parmi les sources plus ou moins officielles des samples du morceau. Si Steve Reich s'est dit flatté d'avoir été échantillonné, il toucherait tout de même la moitié des royalties générées par 'Little Fluffy Clouds'… Quoi qu'il en soit, la salle du Brixton Electric est bien évidemment enchantée d'entendre ce morceau, que The Orb amène très sobrement et expédie finalement assez vite.
Après les acclamations d'usage, méritées, le groupe sort puis revient sur scène pour jouer 'Assassin', sorti après TOABTU, mais peut-être esquissé en même temps. Finalement, on sort évidemment très heureux d'avoir entendu cet album mythique joué en live accompagné d'un light show beau comme un trip sous psylo, d'avoir rencontré des inconnus qui ont eux aussi, il y a bien longtemps, exploré avec The Orb d'autres territoires de la génération rave.
La seule grosse déception reste la petite duperie sur le line-up. Non, tous les musiciens à l'origine de TOABTU n'étaient pas sur scène. Il manquait déjà quelques morts, comme Jacques Le Mesurier, compositeur de 'Spanish Castles…', qui n'y pouvait pas grand-chose, le pauvre. Il manquait aussi Jimmy Cauty, mais son implication reste limitée dans l'album proprement dit, et puis Dieu sait où il est passé aujourd'hui. En revanche, l'absence de Kris 'Thrash' Weston était bien plus désolante compte tenu de son rôle technique et artistique dans les trois premiers albums du groupe, qui restent à ce jour les meilleurs. Thrash a-t-il été spolié comme il le prétend ? Le fait est qu'il n'est crédité que comme technicien sur la plupart des morceaux et qu'il ne touche à ce titre pas grand-chose sur les ventes de disques… Autant dire qu'il n'était pas prêt à venir jouer aux côtés de Paterson et Youth, qu'il insulte régulièrement sur le net. Quand on imagine quelles quantités de drogues ont été consommées durant la production des albums du groupe, il est difficile de croire à la lettre les sorties acrimonieuses de Thrash, mais qui sait ? Son talent rend crédible qu'il ait apporté beaucoup plus à The Orb que l'histoire officielle ne l'a retenu
par
LX Winberg
le 09/08/2016