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: HOME STUDIO, La Révolution Musicale



Si l'on s'accorde à dire que la musique génère entre le pôle de la production et de la réception un tiers champ plus vaste, mais constamment éludé en son sens véritable, qu'est celui de la médiation, alors on sombre dans une bipolarisation squelettique de la musique ou la médiation fait chair péniblement. En fait, il est même plus juste de parler d'intermédiation. C'est un peu emplir un grand vide entre deux acteurs distants : le créateur et l'auditeur, avec d'autres entités formant les multiples liens qui séparent l'oeuvre de son public. C'est en fin de compte l'outil d'analyse économiste classique pour établir la longue chaînes des intermédiaires entre producteur et consommateur, pour dresser le tableau de l'industrie de la musique.

Mais la musique ne se réduit ni à l'analyse de son marché (économie) ni à l'analyse formelle de l'oeuvre (esthétique, musicologie) ou de ses auditeurs (sociologie). La musique, art immatériel par excellence, ne se comprend que dans l'interaction constante qu'elle entretient avec les sujets et les objets qui la font vivre. Elle ne peut se comprendre concrètement que par l'addition de toutes ses composantes, sans aucune exception et sans linéarité simpliste. Nous sommes les témoins et les acteurs des transformations constantes de la musique dues à la modification de ses parties et des relations qu'elles entretiennent.







Se focaliser sur les changements techniques et en faire le lien causal de la transformation de la musique ce serait alors aller un peu vite en besogne et pourtant il est indéniable que chaque révolution technique est au coeur de chaque bouleversement musical majeur. Le XXe siècle en regorge, le début du XXIe en est encore à sa phase de transition. Le numérique fait sa révolution et bouleverse tout. Il ne modifie pas que les supports, que la production, que la diffusion, que la promotion, que la réception, il modifie tout à la fois. Les liaisons monolithiques qui s'exerçaient au sein de la musique sont aujourd'hui obsolètes.




Voilà pourquoi un documentaire comme Home Studio peut justifier son sous titre. "The Musical Revolution". Il le peut parce qu'il en est une preuve tangible, le témoin à charge d'une musique déjà morte et l'observateur complice d'une musique en train de se faire. Car au-delà de la possibilité de créer un enregistrement commercialisable at home et à moindre coût, "Home studio" cristallise l'évolution musicale des dix dernières années, entre utilisation du sampling, crate digging, manipulations sonores, entre facilité et complexité, apprentissage d'un nouvel outil et disparition partielles des instruments. Il met en avant, aussi et surtout, l'ouverture du champ des possibles en matière de création et plus implicitement la refonte à venir des structures de l'industrie du disque.




Le support numérique et son pendant communicatif et échangiste (Internet) sont en train de désamorcer toute vision à long terme de la musique et de bouleverser les rapports de force et les rapports tout court qui la régissent. Home Studio s'en fait l'écho, dMute se fait donc l'écho de Home Studio, réceptif aux musique actuelles, à la création en train de se faire, à la musique telle qu'elle est et telle qu'elle se crée.









Il manquait assurément un documentaire digne de ce nom sur ce qu'on peut considérer comme une révolution médiatique et artistique (on a vu plus haut pourquoi). On pourra s'étonner d'avoir dû attendre si longtemps, une vingtaine d'année, pour voir étudié et recensé le phénomène du home-studio. Cependant l'exercice nécessitait un recul important, malgré le caractère international et pérenne de ce nouveau médium musical. C'est le pari majeur qu'a réussi Jérôme Thomas avec ce documentaire.




Il a aussi l'indéniable avantage de laisser l'intégralité de la parole aux utilisateurs, les home-studistes, comme on les appelle. Et ce tout en évitant l'écueil, facile, d'un témoignage trop pointu, qui serait destiné aux musiciens aguerris. Home Studio - the musical revolution n'est pas pour autant un ouvrage de vulgarisation, malgré de petites attentions bien pensées (la terminologie expliquée dans la pochette intérieure, par exemple). A l'image de son sujet d'étude, ce documentaire se montre exigeant et universel, bénéficiant d'un casting alléchant et éclectique sans être racoleur, empruntant au hip-hop, à l'électro, à la chanson, au rock et même au classique.




On navigue donc entre les paroles de pionniers (Imhotep d'IAM, Dee Nasty), de confirmés anonymes (Animalsons qui produit Booba, Alsoprodby du Saïan) ou encore d'inconnus (plus pour longtemps), ce qui donne profondeur et pertinence au contenu. Le ton se veut très humain, on y aborde dans une même décontraction les questions du voisinage, par exemple, parallèlement aux questions théoriques ou techniques. Loin de se limiter à la parole, vous entendrez et verrez beaucoup, grâce un montage dynamique et léché qui ferait presque oublier la durée du dvd (72 minutes).




Heureusement, des bonus bien choisis viennent compléter le documentaire. Beaucoup de musique, pas mal de rires. Il y a là de quoi ravir les mélomanes (un solo de batterie de Liam Farrell aka Doctor L, des extraits de live), et surtout faire rêver les home-studistes en herbe, dont on sait qu'ils seront nombreux à se jeter sur l'objet. Outre une présentation de la machine unique de Daedelus (seul invité non-hexagonal), le détournement génial d'une palette graphique et d'un joystick pour en faire un synthétiseur vocal, doué de belles arabesques, justifierait presque à lui seul l'intérêt de ce dvd.




Car c'est souvent par l'exemple qu'on saisi le mieux la révolution en cours. Sont abordées ici les questions liées à l'accès à la musique, à l'ouverture relative du marché professionnel ou à la mutation de l'industrie discographique, pour le côté social du phénomène. Une analyse musicologique est aussi envisagée, essentielle et accessible, sur la polémique concernant le sampling comme moyen de composition, ou encore l'influence du hasard ou de l'instantanéité sur l'écriture en musique. L'étude présentée ici ne néglige donc aucun des corrélats, sociologique et artistique, qu'engendre le développement du home-studio.




On regrettera seulement que ce documentaire n'aille pas plus profondément dans les choses, victime de son format trop court. Il est dommage de n'avoir aucun questionnement sur les limites du home-studio, et sur son avenir. Ou pour le penchant musical, aborder la réinvention et le dépassement du solfège classique par la MAO (Musique Assistée par Ordinateur), ou la disparition de la frontière entre musique savante et populaire.




On pourrait lui reprocher également de ne pas dépasser son sujet, d'envisager les conséquences des progrès des technologies numériques sur la sphère musicale (voire même artistique globale), le développement des net-labels, de la musique libre, du peer-to-peer.




On pourrait, oui. Mais si ce documentaire n'est pas parfait (ni ne prétend l'être), il brille déjà par le fait d'être le témoignage isolé d'une révolution silencieuse. Silencieuse et musicale.




Home Studio - La révolution Musicale @ La Fnac - un peu moins de 20 euros




Demokrite & Raf



par Demokrite
le 13/12/2006

Tags : Dossier

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