Dossier

En ce bas monde insécure, voué à la fureur et au chaos, existent des petites choses qui ont la saveur infiniment rassurante du prévisible, mues qu’elles sont par une logique aussi mystérieuse qu’imperturbable, que rien ne saurait mettre en échec. Magic pop moderne, la revue musicale qui voue un culte à Etienne Daho ou Saint-Etienne (pop jusqu’au bout des ongles quoi), possède cette saveur. Voici pourquoi.

Ouvrir Magic, c’est être à coup sûr envahi de cette douce vague de sérénité chaude que propage dans notre corps cette certitude infaillible : dans le numéro du mois, comme dans le précédent, l’antépénultième, dans le prochain ou dans un numéro futur, le groupe élu pour « l’album du mois » (6 ronds pleins, soit la note maximale), n’a JAMAIS FAIT, NE FAIT, NE FERA ( là je parie sur l’avenir en toute confiance) contre toute attente, la couverture.
Bien sûr, en bonne journaliste que je ne suis pas, j’ai pris soin de vérifier cette information, avant de vous la divulguer, je ne suis pas folle. Je puis donc l’asséner avec cette tranquille assurance : que ce soit dans le numéro de ce mois de décembre (The Killers en couverture, Sufjan Stevens en "album du mois"), dans le numéro précédent (Jarvis Cocker en couverture, South en « album du mois"), dans un numéro pris au hasard datant de l’année dernière ou même dans un vieux numéro poussiéreux de 2002, cette mystérieuse logique a cours, que l’on pourrait résumer ainsi, dans tout ce qu’elle a d’effroyablement lapidaire :

             Album du mois : six points

             Groupe en couverture :  five points

Alors bien sûr, forcément, cette constatation faite, vient l’heure des questions : pourquoi l’auteur de l’album auquel a été attribué la meilleure note, le plus méritant donc en toute logique (mais je me méfie désormais de ce mot), se voit-il relégué en pages intérieures, avec, désespoir suprême, cette note incompréhensible, fatidique de 6 points, éliminatoire pour obtenir les faveurs de la sacro-sainte couverture ? Car oui, chez Magic chers lecteurs, il faut le redire pour que ce soit bien clair, la meilleure note n’est pas le précieux sésame qui donne accès au papier glacé de la couverture.
Comment expliquer cette cruelle ironie des chiffres ? Je n’ai pas d’explication.
Si j’étais d’humeur un peu romantique, je voudrais croire que par là, Magic veut nous donner une leçon de vie et de création : atteindre la perfection (6 points), c’est une chance telle en ce monde, que toutes les couvertures du monde paraissent dès lors bien dérisoires. Il faut donc encourager ceux qui sont proches de toucher cette perfection (5 points) en leur offrant le privilège de la couverture. Cette couv’, n’est ainsi pas une fin en soi, mais un moteur créatif pour le groupe tout auréolé d’une nouvelle confiance en soi, capable dès lors de se surpasser pour accoucher du disque majeur qui lui permettra un jour d’atteindre la perfection tant convoitée. (6 points ) . Mouais. Peu convaincant.
Etant d’humeur plus pragmatique, je suis plus encline à penser qu’il y a là dessous d’obscures raisons mercantiles et publicitaires, dont je ne saurais pénétrer les arcanes. Un coup de fil à la rédaction de Magic pourrait peut-être, tout simplement, éclaircir l’affaire.

Mais non. Je tiens à ce mystère. J’aime savoir que, pour une raison qui demeure inconnue à la lectrice profane que je suis, la terre pourrait s’arrêter de tourner, demeurerait ce fascinant algèbre :

             Album du mois : six points

             Groupe en couverture : five points.